Chapitre 7 - 3 : Images et reflets (Roy)

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J'en étais là de mes pensées quand quelqu'un toqua à la porte. J'invitai à entrer, et vis Havoc passer le nez par l'entrebâillement avec une mine penaude.

— Colonel, je peux vous parler ? C'est à propos de... enfin...

Je hochai la tête et le grand blond entra, refermant soigneusement la porte derrière lui. Je devinais pourquoi il venait, et il ne voulait sans doute pas être entendu.

— Je... me suis acquitté de la mission que vous m'aviez confiée, fit-il d'une voix hachée. Je vous serais reconnaissant de ne pas me poser de questions sur... la procédure, ajouta-t-il en rougissant.

Je hochai la tête, comprenant son embarras. Après tout, je l'avais envoyé dans un bordel à plusieurs reprises, je ne tenais pas à avoir trop de détails sur le déroulement. Envoyer là-bas un indécrottable romantique était sans doute cruel de ma part, mais il était le plus adapté à la mission. De la part d'un célibataire se plaignant régulièrement de ne plus être en couple, personne n'aurait été plus étonné que ça...

J'aurais sans doute été plus à l'aise que lui dans ce milieu, mais y aller moi-même aurait été totalement contre-productif. C'était presque un miracle que nous ayons retrouvé les pellicules dissimulées par Fisher dans l'appartement de sa voisine, ce n'était pas pour attirer l'attention sur les informations que j'avais pu en tirer.

Quand Hawkeye avait récupéré les quatre pellicules, elle me les avait aussitôt apportées. J'avais été estomaqué de voir toute la documentation que Fisher avait pu accumuler à notre insu, mais le plus délicat restait les photos de nos généraux avec une prostituée mineure. Les rendre publiques aurait mis le feu aux poudres, aussi bien au sein du QG que dans l'opinion publique, qui avait déjà une affection limitée pour l'armée. De plus, ce genre d'informations avait bien plus de valeur quand elles restaient secrètes. Sur les quatre microfilms découverts, nous n'en avions dévoilé que trois au QG, mettant de côté ces sources de chantage avec l'intention de faire le ménage plus tard. Après s'être fait conseiller pour le développement de photos par Hayles, Hawkeye s'était chargée elle-même des tirages et agrandissements afin que ne pas les confier à quelqu'un qui pourrait faire fuiter l'information.

La qualité était tout juste correcte, mais nous avait permis d'enquêter. En faisant appel à des informateurs de confiance hors de l'armée, j'avais pu localiser le lieu où ces photos avaient été prises. En plus du nom et de l'emplacement du bordel, et un agrandissement du visage de la fille à interroger, je lui avais donné plusieurs noms de lieux où traîner où il serait susceptible d'être rabattu à cette adresse par le bouche-à-oreille... en tant que client. Il fallait qu'il ait l'air d'être un chaland un peu perdu, et pas d'un militaire infiltré. Pour avoir l'air perdu, je savais que je pouvais compter sur lui.

— Elle... Elle s'appelle Edelyn vous savez, commença-t-il. Je n'ai pas eu trop de mal à la reconnaître une fois arrivé... là-bas. Par contre, j'ai dû attendre un moment avant qu'elle soit... disponible. Elle est assez populaire apparemment.

Je hochai la tête, malheureusement peu surpris. La jeunesse valait cher dans les maisons closes les plus luxueuses. La pratique était devenue interdite, mais le commerce n'avait pas cessé pour autant. Simplement, il était devenu encore plus invisible et malsain qu'auparavant. En développant et agrandissant les photos en compagnie d'Hawkeye, j'avais vu dans sa posture la mollesse lasse caractéristique d'une habituée. J'avais vu son visage d'enfant, rendu amorphe par l'avilissement. Ses yeux éteints fixaient parfois l'objectif, trahissant qu'elle était pleinement consciente d'être photographiée, d'être l'outil de tous, celui qui payait pour son corps comme celui qui, derrière son appareil, immortalisait une source de chantage. Une lucidité glaçante, un espoir brisé par des viols répétés... tout un monde de douleur logeait dans ces yeux-là.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now