Chapitre 3 - 6 : Jour après jour (Roxane)

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— Finalement, la vraie question, c'est ce que toi, tu veux faire.

C'était June qui avait dit ça, assise à califourchon sur sa chaise, accoudée au dossier, posée et attentive à la discussion.

Les dernières minutes passées dans les coulisses s'étaient passées dans une ambiance industrieuse. En voyant mon état, les filles s'étaient précipitées à mon secours, et je m'étais retrouvée, un peu hébétée, entourée par mes amies qui m'avaient rechapée, Katalyn en me maquillant en un temps record, Cindy en réajustant ma coiffure, Carine et June en boutonnant les poignets de mon costume, le tout avec quelques mots d'encouragement, et, étonnamment, aucune question. Tout occupées qu'elles étaient de me remettre en état, elles n'eurent pas le temps de sentir le stress monter, et avant d'avoir compris, nous nous étions retrouvées sur scène pour la danse de groupe.

Après la chorégraphie d'ouverture, je m'étais retrouvée en coulisses pour me changer, et je pus résumer la situation à Cindy tandis que nous nous changions pour enfiler nos costumes de strip-tease. Elle avait compati à mes questionnements sans trop savoir quoi dire, et une fois la représentation terminée, nous nous étions toutes retrouvées en coulisses pour nous changer.

Comme d'autres filles s'occupaient du service en salle, la plupart d'entre nous avaient fini notre journée, et si Dorine n'avait pas tardé pas à remettre ses vêtements de ville pour aller rejoindre son amoureux, les autres étaient restées pour écouter les raisons de ma crise de larmes, un débordement d'émotion auquel je ne les avais pas habituées. Elles étaient presque toutes là, June, Cindy, Katalyn, Carine, Flora et Laure, et le simple fait qu'elles me consacrent ce temps d'écoute m'avait terriblement émue. Sans leur dire qui était à l'origine de cette proposition, je leur avais expliqué cette opportunité qu'on m'avait proposé d'aller à Central réaliser mon rêve, et toutes les raisons qui m'en empêchaient. La liste était longue, et même si mes entrailles me hurlaient de partir, j'avais le sentiment de ne pas en avoir le droit.

— Je ne sais pas ce que je veux faire... répondis-je à voix basse. Enfin, j'ai envie de partir, je crois... mais je ne pourrais pas quitter Lacosta et vous laisser faire face à... à tout ça, sans me sentir terriblement mal.

— Pourquoi ? demanda Carine.

— Ce serait déloyal, répondis-je du tac au tac. De quel droit je vivrais ça alors que tout le monde ici galère, que tellement de gens n'ont même pas de toits ? En plus, j'ai des responsabilités, ne serait-ce que l'impression des tracts pour les réunions, et puis l'orphelinat. Et puis...

— Roxane... Ce n'est pas ta ville, tu sais ? coupa Cindy.

J'ouvris la bouche, prête à m'indigner. Bien sûr que si, c'était ma ville ! Je connaissais ses rues, ses murs, ses gens, depuis ma plus tendre enfance.

— C'est la ville qui t'a accueillie, oui, reprit la blonde, celle où tu as grandi, mais tu n'en es pas « propriétaire », tu n'en es pas dirigeante. Ce n'est pas toi qui as fait les choix qui l'ont mise dans cet état. Tu n'es pas responsable de ce qui arrive maintenant. Ce n'est pas ton devoir de réparer les conneries des autres.

— Je confirme, fit Laure en levant la main. On voit bien que tu bosses du matin au soir, pour le cabaret, pour les réunions, pour l'orphelinat... Depuis combien de temps n'as-tu pas eu un moment à toi ?

— Mais tout le monde travaille dur, répondis-je, un peu secouée de les sentir remettre en question ce qui me paraissait si évident, sentant malgré tout qu'elles touchaient du doigt quelque chose de juste.

— Pas autant que toi, Roxane. Et pas aux dépens de notre propre vie comme tu le fais. Tu es toujours sous pression, et tu as des cernes à faire peur. Par moments, tu en perds même ton sens de l'humour.

Je baissai le nez. J'avais du mal à la contredire.

— Dis... quand Ariane est partie en nous laissant en plan à quelques jours de la première, est-ce que tu lui en as voulu ? demanda Katalyn.

Je secouai négativement la tête avant de répondre.

— Non, mais c'était particulier, ça nous aidait dans l'enquête...

— Hé bien dans ce cas, dis-toi que ça aidera une autre fille à retrouver un travail.

— Mais pour le reste...

— Pour le reste, on se débrouillera, me rassura June. On demandera de l'aide, on en trouvera toujours, ne t'inquiète pas.

— En plus, si tu vas à Central, tu pourras aider la ville d'autres manières, ajouta Cindy, l'œil brillant. Parler de nous. Avoir des idées que tu n'aurais pas eues autrement. Qui sait ce qui se passera là-bas ?

— En plus, s'il y a quelqu'un parmi nous qui est assez douée pour réussir à Central, c'est bien toi, ajouta Flora un peu timidement, me faisant rougir.

— C'est vrai, tu es douée !

— Il est temps que d'autres le découvrent.

Les voir s'entendre sur la question m'amena un sourire très embarrassé.

— Je ne pense pas... Il doit il y avoir mille fois mieux que moi là-bas, bredouillai-je.

— Ça, tu ne le sauras pas tant que tu ne tentes pas ta chance, fit remarquer Carine.

J'opinai avec hésitation. Je savais qu'elles n'avaient pas tort, mais l'idée de me confronter à la réalité me terrifiait. Et si, en fait, je n'étais pas faite pour ça ? Tant que je n'essayais pas, je pouvais tout imaginer en mettant mon échec sur le compte du destin... mais si je faisais tout pour réussir et que j'échouais quand même, je serais bien obligée d'admettre que c'était de ma faute.

— Vous ne m'en voudrez pas si je vous abandonne, alors ? bredouillai-je.

— Tu ne nous abandonnes pas ! s'exclama June avec un petit taquet affectueux et agacé à la fois. Tu vis ta vie, c'est différent. On est pas tes enfants, enfin !

— On préférera toutes te voir loin et heureuse qu'ici en train de dépérir, tu sais ? ajouta Katalyn, langoureusement accoudée à sa chaise. Même les orphelins de Valencia.

— J'aurais pas dit mieux, confirma Cindy. Pour ma part, tu m'as déjà sauvé la vie en enquêtant avec Edward Elric, tu as fait plus que n'importe qui pour moi. C'est plutôt moi qui te dois quelque chose...

— D'ailleurs, c'est un peu ce qu'on fait là... te rendre la pareille.

— En t'envoyant un bon coup de pied au cul, ajouta Carine avec un sourire.

Sa réplique m'amena un petit rire, et je me sentis réchauffée de l'intérieur par leur affection et leurs encouragements. Elles auraient pu me dissuader de partir, et je les aurais sans doute écoutées, tiraillée que j'étais. Mais avec cette discussion, je réalisais que leur avis me rassurait suffisamment pour que je me sente capable de prendre une décision en étant honnête avec moi-même, même si pour l'heure, je n'avais pas une idée très claire. Si la culpabilité s'était estompée, la peur avait pris sa place.

— Je vais avoir encore besoin de réfléchir, je crois, avouai-je, mais en discuter avec vous m'a déjà éclairci les idées. Merci.

Elles me répondirent par un sourire, et, comme personne n'avait envie d'effacer cette bulle d'intimité, nous restâmes encore à discuter un moment, parlant de sujets plus personnels qu'à l'accoutumée dans une atmosphère de fin de soirée au charme particulier.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOnde histórias criam vida. Descubra agora