Chapitre 4 - 6 : Retrouvailles

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Une heure au moins s'était écoulée, et après avoir marché droit devant moi durant de longues minutes, j'avais fini par me perdre dans les rues sinueuses de la vieille ville. Je jetai un coup d'œil alentour, nerveux, incertain. Quelle heure était-il ? Roxane n'allait pas tarder à arriver, et si je commençais par ne pas accomplir ma mission, qui était de trouver un hôtel à côté de la gare, elle serait en droit de m'en vouloir. Elle n'y était pour rien si j'étais un abruti qui, à peine arrivé, compromettait sa couverture pour un tour d'alchimie.

Mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? Je n'allais quand même pas laisser cette personne mourir sous mes yeux sans rien faire ! Je ne pouvais pas, voilà tout. Il n'y avait plus qu'à croiser les doigts et espérer que les militaires ne remonteraient pas ma piste. Étant obligé de revenir dans le quartier, j'allais le savoir assez vite.

Bon. On fait demi-tour et on y va. Même s'ils me cherchent, je pourrais être l'importe où à l'heure qu'il est.

Je me campai au carrefour pour regarder le panneau de rue. J'étais avenue du Général Garysson. Si je le descendais, je retomberais sur le passage Floriane, un des derniers lieux où j'avais vu Mustang et sa clique au complet. À ma droite, l'avenue montait vers la prison secondaire et le fleuve Leymann, dans lequel se jetait la Ruade. Si j'allais tout droit, j'allais bien finir par retomber sur le boulevard Sud et retrouver le quartier de la gare. En traînant dans les rues secondaires, je trouverais bien une auberge où passer inaperçu.

Je m'engouffrai dans la voie, déglutissant pour chasser mon trac, et marchai à une cadence que j'espérais naturelle. Fourrant mes mains dans mes poches, coulant des regards à gauche et à droite, je tâchai de tromper mon inquiétude en observant les façades devant lesquelles je passais, ignorant cette désagréable sensation d'être observé. J'eus l'impression d'entendre des pas suivre les miens et sentis l'adrénaline monter d'un coup.

Je me fais des idées, voilà tout. Cette affaire de locomotive qui déraille m'est montée à la tête. Ce n'est pas comme si la ville entière voulait ma mort.

La ville entière, non, mais une personne suffit.

Le pouls battant dans ma gorge, je me figeai, et entendis des pas. Je n'étais pas seul dans cette ruelle. Est-ce que je devais me retourner ? Je risquais de devoir entamer un combat si la personne derrière moi était un ennemi. Et si c'était le cas, j'allais perdre le bénéfice d'un mois de travail destiné à me forger une fausse identité crédible. Mais peut-être était-ce déjà le cas ?

J'avais recommencé à marcher, sentant mes questions tourner dans ma tête, les dents serrées, la main crispée sur mon sac de voyage. Qui? Un militaire? Un Homonculus? Ou bien...

Une vérité me frappa. Même si je savais que ce n'était pas totalement le cas, j'étais devenue une femme aux yeux des autres. Peut-être que la personne qui me suivait était juste... un pervers ? Après tout, j'avais déjà entendu des histoires de ce genre, des filles suivies dans la rue avant d'être agressées...

Hum, contre un mec lambda, je saurai me défendre... mais ça ne serait pas très discret. J'ai déjà fait assez de dégâts comme ça...

Je jetai un coup d'œil furtif, mais je ne pouvais pas voir la personne qui me suivait sans tourner franchement la tête.

Ce n'est pas dans mes habitudes, mais la solution est la fuite. Après tout, une fille «normale» en ferait autant, non?

Résolu, j'accélérai le pas, entendant la personne derrière moi en faire autant. Le boulevard Sud n'était plus très loin, et entouré d'une foule, je serais peut-être plus en sécurité ? Me raccrochant à cette idée, j'allais de plus en plus vite, suivi comme mon ombre par quelqu'un qui se rapprochait inexorablement. Est-ce que je devais laisser tomber les apparences et piquer un sprint ? Que ferait une vraie fille ?

En débouchant sur le boulevard, je vis un trolleybus sur le point de partir, et me ruai vers lui comme le salut en personne. Derrière moi, l'homme courait dans mes pas, et pour un peu, aurait pu me retenir par le poignet. Il ne me restait plus que trois mètres pour sauter sur la plate-forme arrière du trolley et me sauver. Le moteur de l'engin crachota, signalant qu'il était prêt à partir.

— Attends !

J'avais empoigné la barre du trolley, en sautant sur la dernière marche, sentant que ma main gauche avait échappé de justesse à sa prise : il n'avait tapé que l'extrémité des doigts sans pouvoir s'y raccrocher, faisant bondir mon cœur dans ma gorge.

Sauf que...

Je connaissais cette voix.

Blême, je me retournai vers lui, toute ma peur remplacée par un torrent d'émotion que je ne comprenais pas, et croisai ses yeux noirs, agrandis par la surprise et voilés par la déception. Je me penchai au balcon du trolley, ouvrant une bouche stupéfaite, mais il était trop tard, il était trop loin, et avant que je ne puisse comprendre pleinement ce qui s'était passé, sa silhouette fut avalée par la foule du boulevard.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now