Chapitre 1 - 6 : En suspens (Winry)

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Il faisait encore nuit quand le réveil sonna. Je me redressai dans mon lit et restai assise en équilibre précaire, avant de réussir à me lever par une sorte de courageux automatisme. J'attrapai le tas de vêtements posés sur ma table de nuit, traversai la pièce au plancher nu, puis sorti dans le couloir où le militaire somnolant sur sa chaise se réveilla en sursaut, pour toquer à la porte de la chambre d'Al, en me disant qu'au moins, je ne m'étais pas laissé le temps ni la possibilité de me rendormir. Un grommellement ensommeillé me répondit à travers la porte, et je me sentis sourire.

Je me dirigeai vers la salle de main, espérant que l'eau allait me réveiller, et me préparai sans trop de hâte, comme si mon corps était resté endormi. Prendre une douche me secoua tout de même un peu, puisque l'eau mit, comme toujours, une quinzaine de secondes à chauffer, me laissant grelottante à l'opposée du bac en tenant la poire de douche comme un serpent à la morsure mortelle.

Malgré tout, ce fut dans un nuage de vapeur que je ressortis de la pièce un moment plus tard, après m'être lavée, coiffée et habillée, réchauffée pour le compte. Je croisai Al qui y entra à son tour, les yeux encore collés de sommeil, en m'adressant un vague signe de main.

Je souris sans me retourner et continuai à marcher vers ma chambre pour glisser ma trousse de toilette et mon pyjama dans mon sac de voyage, avant de le descendre dans la cuisine. Autant j'avais eu du mal à me lever le matin ces dernières semaines, autant, aujourd'hui, j'étais motivée à sortir du lit et bien réveillée.

Je mis l'eau à chauffer et sortis du pain que je coupai pour le mettre à griller, coupant un bon nombre de tranches pour Al et moi, et en mettant d'autres de côté pour préparer des sandwiches. Sig poussa la porte de la pièce, se figea une seconde sur le seuil en remarquant ma présence, puis entra avec un petit hochement de tête qui était sa manière de dire bonjour.

Il tira du garde-manger les fromages, trancha un peu jambon fumé, puis commença a préparer un café. Il venait de s'asseoir à table quand Al poussa la porte avec son sac en bandoulière. Dire que tout ce qu'il possédait tenait là-dedans !

— Bonjour. Merci d'avoir préparé à manger, Winry ! fit-il en s'installant à son tour.

Je haussai les épaules. Pour le nombre de fois où je m'étais levée en trouvant un petit déjeuner prêt, je pouvais au moins faire ça. Je m'attablai à mon tour devant mon thé et mes tartines. Je me sentais fébrile à l'idée de partir. Nous en avions discuté tous les deux, pris cette décision difficile de renoncer à l'espoir de voir Edward réapparaître dans nos vies par magie. Nous avions parlé à Sig, la boule à la gorge, nous sentant coupables de le laisser seul dans cette demeure autrefois aussi animée. Meisson nous avait encouragé avec sa bonhomie habituelle, promettant qu'il veillerait sur Sig et l'aiderait à la boutique aussi longtemps qu'il le faudrait. Il avait fallu beaucoup de phrases rassurantes de sa part pour réussir à nous débarrasser de cette culpabilité qui nous vissait le ventre.

Et à présent, nous prenions notre dernier repas dans la demeure des Curtis. J'aurais voulu me dire que ce n'était qu'un au revoir, que nous allions revenir à l'occasion... mais je commençais à prendre conscience que rien n'était moins sûr, et que notre avenir était plus qu'incertain.

— Faites attention, gronda la voix de Sig, sortant de nulle part, me faisant sursauter.

Je me tournai vers lui, qui me fixait de ses petits yeux sombres et sévères, et sentis toute l'affection et l'inquiétude qu'il y avait dans ces mots. Je hochai la tête en guise de remerciement.

— Oui. On appellera régulièrement pour vous tenir au courant.

— Oui.

Al jeta un œil à l'horloge, avala ses dernières gorgées de thé et se leva.

— Il ne faut pas qu'on tarde, chargée comme tu es, il vaut mieux prévoir plus de temps pour aller jusqu'à la gare...

— C'est vrai, fis-je avant d'enfourner ma dernière tartine et de me redresser à mon tour en mâchonnant la fin de mon petit déjeuner.

Al attrapa le pique-nique et la gourde pour la mettre dans son sac, où il restait encore plein de place. Je baissai les yeux vers mes propres bagages, avec une expression dépitée. On ne pouvait pas en dire autant de mes propres affaires. Entre mes vêtements, mon matériel et les deux automails d'Edward, que j'avais fini par avoir le courage de récupérer dans la chambre qui avait pris des airs d'autel endeuillé depuis son départ, j'allais être bien chargée. Alphonse suivit mon regard, traversa la pièce et empoigna le sac le plus lourd pour se le mettre sur l'autre épaule. Je m'apprêtais à protester que je n'étais pas une faible femme, mais il fallait admettre qu'une répartition équitable des bagages man encore le meilleur moyen de ne pas louper notre train. Je soulevai les autres sacs, et m'approchai de Sig pour lui dire au revoir.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il nous attrape chacun par un bras et nous serre contre lui. Il relâcha son étreinte avant que nous suffoquions, et toussota, gêné de s'être laissé aller à autant d'expression.

— Vous allez me manquer.

C'était peut-être la phrase la plus longue qu'il avait jamais dite en ma présence. J'eus un sourire un peu tremblant et levai les yeux vers cette armoire à glace qui était, au fond, aussi gentil qu'Alphonse. Juste aussi massif que timide.

— Vous aussi, vous allez nous manquer, avoua Al.

— Mais on vous donnera des nouvelles, ajoutai-je.

Il hocha la tête, comme s'il avait évacué son quota de mots, puis, un peu maladroitement, nous quittâmes la maison, dans une ambiance bien différente que lors de notre arrivée. Et même si certaines choses avaient été éclaircies durant notre séjour, les nouvelles questions dépassaient de loin les mystères résolus.

Je levai les yeux vers le ciel noir et opaque au-dessus de nos têtes tandis que nous traversions le jardin, sentant le poids de mes bagages sur les épaules et celui de l'incertitude dans mon cœur. Marchant dans l'obscurité opaque aux côtés d'Alphonse, qui ne s'inquiétait pas une seconde, tellement habitué aux lieux et à l'atmosphère du petit matin, et nous étions suivis comme notre ombre par le duo de militaires qui n'étaient manifestement pas ravis de devoir nous suivre ici et là. Nous n'avions pas marché deux minutes qu'il se mit à crachiner.

— Décidément, marmonnai-je en me renfrognant dans mon écharpe, avant de fouiller dans mon sac pour y retrouver mon parapluie.

Al, qui portait sa casquette, ne semblait même pas avoir remarqué la pluie. En le voyant se retourner et s'arrêter, quelques pas plus loin, en remarquant que j'étais à la traîne, je songeai qu'il avait changé depuis le départ de son frère. Comme si, en son absence, il avait été obligé de commencer à exister pour lui-même, et qu'il s'était découvert de l'assurance. Comme s'il avait prématurément vieilli, devenant bien plus sérieux que moi. J'ouvris le parapluie qui claqua au-dessus de ma tête en se dépliant, puis, après une seconde d'hésitation, me remis à marcher pour revenir à sa hauteur.

Il me semblait qu'il avait grandi.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now