Chapitre 5 - 6 : Le col du Loup Hurlant (Steelblue)

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Le lendemain, j'avais fui l'atmosphère irrespirable de la caverne pour marcher dans la montagne. Il pleuvait toujours, mais comparé aux jours précédents, le temps n'était pas si mauvais. Porté par cette idée en qui personne ne croyait, j'avais prudemment remonté vers le col du loup hurlant, me dissimulant dans les forêts de sapin qui léchaient les flancs de la montagne. En arrivant à l'orée du bois, je restai dans son ombre pour observer le col qui me surplombait.

Une pente noyée d'éboulis et de traînées de boue remontait vers le ciel, et les rochers les plus élevés accrochaient une neige à moitié fondue. Au milieu de ce territoire inhospitalier, un bâtiment terré au creux des rochers se trouvait là. Une bâtisse de pierre et d'acier, encaissée dans la montagne, grise et austère, parfaitement située pour observer la pente en contrebas et le chemin du col qui sinuait à sa droite pour passer là où les monts étaient au plus bas. Je m'adossai au tronc, croisant les bras, observant la forteresse, les sourcils froncés.

Ils étaient extrêmement bien situés, et avec le paysage désolé qui s'étendait devant, impossible de se dissimuler. Je n'avais que quelques mètres à faire pour me retrouver à découvert, et pour peu qu'il y ait un bon sniper en train de surveiller, je me ferais tirer comme un lapin. Il aurait peut-être été plus facile de les prendre par surprise en arrivant de l'autre côté du col, mais c'était impossible pour nous de toute manière. 

Restaient les montagnes qui les surplombaient. C'était des blocs abrupts, jetés là comme une poignée de pavés titanesques, dont les murs verticaux ne laisseraient aucune prise. Il était peut-être possible de se frayer un chemin là-dedans, à condition d'être excellent en escalade, mais nous n'étions ni assez entraînés ni suffisamment en forme pour tenter de progresser là-dedans sur une distance pareille.

Je me mordis la lèvre, observant la chaîne de montagnes austère avec un sentiment de désespoir. Cela semblait impossible, mais je ne voyais pas d'autre solution que celle-là. Si je ne trouvai pas un moyen de prendre possession de ce lieu, nous n'aurions bientôt pas d'autre choix que de demander asile au village, et même sans la méfiance naturelle de ceux qui vivaient dans un lieu reculé, l'arrivée d'un groupe aussi nombreux bouleverserait leurs prévisions et les priverait de réserves précieuses pour passer l'hiver. Quand bien même ils auraient été prêts à nous accueillir sans nous dénoncer, ils risquaient fort de changer d'avis une fois que la famine menacerait...

— Bon, ça ne coûte rien d'essayer, murmurai-je.

Je m'enfonçai de nouveau dans les bois et obliquai à gauche pour atteindre le paysage rocailleux qui menait vers les cimes. Je pris soin de passer par les renfoncements, les creux, vérifiant sans cesse que je n'étais pas à portée de vue du bâtiment menaçant.

La progression fut moins difficile que je le craignais, au début du moins. J'étais passé de la forêt de sapins au terrain accidenté à un ravin particulièrement imposant. Tâchant de me représenter mentalement les lieux, je marchai dans ce que j'espérais être la bonne direction. J'escaladai les rochers trempés de pluie, glissant sur l'eau et des débuts de moisissures, mais remontant quand même la pente petit à petit. 

Il me fallait toute ma concentration pour progresser sans tomber, et cet effort représenta une forme de soulagement. J'évitai de penser à la difficulté qu'allait représenter la descente, et me laissait enivrer par l'effort. L'air était froid et humide, mes mains glacées étaient à vif, et pourtant, je me sentais étrangement bien. Je tenais un espoir.

Après avoir réussi à grimper une pente particulièrement abrupte, j'arrivai sur un petit plateau, que j'explorai à pas lents. En m'approchant du bord, j'eus la satisfaction de constater que je pouvais voir la forteresse de bien plus près, et que je surplombais légèrement celle-ci. Je scrutai les lieux, pestant sur ma mauvaise vue et mes lunettes constellées de gouttes. Un escalier couvert d'un auvent profond menait à une porte qui semblait blindée, et les rares fenêtres étaient grillagées, ne permettait aucun passage. Il n'y avait qu'une entrée, et c'était impossible de la forcer sans avoir des moyens considérables.

Mais avec Scar dans notre camp, on pourrait aussi bien faire un trou dans le mur pour entrer n'importe où... pensai-je avec un sourire amer.

Je restai quelques minutes à observer les lieux, puis pris conscience de quelque chose.

Le bâtiment, de plain-pied, me semblait vraiment peu étendu. Je ne voyais pas comment ils pouvaient loger plusieurs dizaines de brigands, en plus de stocker leurs munitions et leurs armes. Passé la déception, je compris ce qu'il en était probablement : le bâtiment devait se prolonger par une grotte et s'étendre sous la montagne. C'était le seul moyen pour qu'ils puissent vivre dans cet espace clos sans s'entretuer.

Le froid me rattrapa, et je sentis qu'il était temps que je m'active. Je me relevai et soupirai devant le nouvel à-pic. Malgré tout, je repris mon ascension, porté par une conviction. Si je trouvais un chemin que je pouvais pratiquer seul et sans équipement, par une pluie battante, les autres seraient bien capables d'y arriver aussi. Je continuai mon escalade, sentant mes membres trembler de plus en plus. Les choses devenaient de plus en plus difficiles, et à la pluie succédait une neige molle qui tombait en lourds flocons et fondaient sur mes mains malmenées.

Ce qui devait arriver arriva. Alors que j'escaladai une cheminée, ma prise m'échappa et je tombai dans le vide, avalé par la montagne. Je chutai de haut, dérapant sur les parois étroites et atterrissant sur mes jambes qui se dérobèrent sous moi. Le choc me coupa le souffle et je restai de longues secondes, effondré dans une flaque d'eau glacée qui m'arrivait à la taille.

La douleur et le choc avaient comme bouché mes oreilles, et il me fallut faire un effort pour me rappeler comment respirer. J'y parvins finalement et expectorai un grand cri de douleur avant de reprendre une respiration chaotique. Je sortis de ma paralysie, pris par un sentiment d'angoisse. J'étais tout endolori et tremblant, je n'étais pas sûr de pouvoir bouger. Et en levant les yeux vers le ciel, je ne vis que les blocs de roche noire qui réduisaient le ciel à une fine estafilade blanche.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now