Chapitre 5 - 8 : Le col du Loup Hurlant (Steelblue)

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Pour autant, la suite ne fut pas facile. Après m'être remis de mes émotions, je dus encore me relever et repartir. Je progressai prudemment sous les rayons de lune, résolu à ne pas me faire avoir deux fois à tomber dans une crevasse. Les cordes que j'avais embarquées me furent d'une grande aide pour redescendre l'à-pic du rocher que j'avais réussi à escalader. Malgré tout, le chemin était long et difficile. Le froid avait verglacé les rochers trempés de pluie, et j'étais rentré au point du jour.

Quand je poussai les branchages qui condamnaient la grotte, je ne savais même plus comment j'avais fait pour tenir debout jusque-là. Je m'effondrai à l'entrée, provoquant des exclamations d'inquiétude des Isbahls. Avec la nuit que j'avais passée, je n'avais plus grand-chose d'humain, je me sentais presque déchiqueté tant je m'étais cogné et écorché. Ils avaient eu de quoi s'inquiéter un long moment, se demandant sans doute quelle conduite tenir face à ma disparition. Ils me tombèrent dessus à bras raccourcis, entre soulagement, inquiétude et colère. Je les rassurai à disant que je n'avais rien de grave, puis parvins à me retrouver seul avec Scar, un plat à la main, boulottant les céréales cuites en lui expliquant mes découvertes, comment, à mes risques et périls, j'avais trouvé un accès menant aux galeries de la forteresse, comment j'en étais ressorti à grand-peine, et comment, avec cette information, l'assaut devenait tout à fait réalisable.

— Pour peu que nous attaquions lorsque les habitants du village tenteront de franchir le col, ils seront dispersés et absolument pas prêts à réagir. Je sais que tu n'approuves pas l'idée, mais je crois que tu sais bien que si nous ne prenons pas une décision, nous ne passerons pas l'hiver.

Scar hocha la tête, mais de répondit pas, et le silence retomba pendant que j'enfournais les plats comme le pire des goinfres.

— On en reparlera quand tu te seras reposé.

Je pris cette réponse pour une première victoire, puis, une fois le repas terminé, acceptai de me faire examiner. Samina, dont la fièvre était retombée, s'occupa de moi. Enveloppée dans des couvertures qui sentaient le suint et la fumée, pâlie par la maladie, les traits tirés, elle était néanmoins souriante.

— Vous avez l'air en meilleure forme qu'à mon départ, commentai-je.

— Oui, on ne peut pas en dire autant de vous...

— Ahahah, en effet.

— Je suis soulagée que vous soyez de retour.

— Moi aussi.

La répartie la fit sourire, et elle trempa un linge dans l'eau chauffée au-dessus du feu, tandis que je me débarrassais de mon manteau, de mon pull et de mes tuniques. Elle grimaça en voyant ma peau tuméfiée.

— Où est-ce que vous vous êtes fourré pour vous mettre dans un état pareil ?

— Je suis tombé.

— Pour être tombé, vous êtes bien tombé. On commençait à craindre pour votre vie, vous n'auriez pas dû disparaître comme ça, sans donner de nouvelles.

— C'est vrai, je n'aurai pas dû, admis-je tandis qu'elle me lavait le dos, réveillant chaque douleur.

La jeune femme avait employé une inflexion moralisatrice derrière laquelle perçait une inquiétude bien réelle. Rétrospectivement, je me sentais comme le dernier des crétins. Ce n'était pas seulement ma vie que j'avais risquée stupidement cette nuit, c'était celle de tout le clan que je m'étais juré de protéger.

— Je suis désolé de vous avoir autant inquiétés.

Samina soupira et conclut simplement.

— L'important, c'est que vous soyez revenu.

Une fois le gros de mes blessures pansées, elle me laissa le peu d'intimité que permettait la caverne pour que je finisse de me décrasser, et j'enfilai une tunique et un pantalon aussi propres que pouvaient l'être des vêtements lavés à la cendre, avant de m'effondrer dans un coin de la tente pour dormir le gros de la journée. Le soir fut consacré aux préparatifs de l'assaut, que le prêtre, en train de tomber malade à son tour, avait fini par accepter, la mort dans l'âme.

Le lendemain, j'étais descendu au village, achetant une carte postale dont la gravure représentait le loup hurlant, que j'avais posté aussitôt en direction de Central. Je tenais à adresser un signe à Mustang, à présent que la décision de rester dans la région était prise. Je dépensai ensuite nos derniers cents pour nous fournir en munitions. Si Scar se battait à mains nues, ce n'était pas le cas du reste de la bande, et je n'irais pas loin si je me contentais de lancer des couteaux.

La pluie drue des derniers jours était devenue un crachin brumeux, et si la situation n'empirait pas notablement, la voie habituelle restait détrempée et inutilisable. Les villageois prirent donc la décision de tenter de passer par le col, en espérant que la très mauvaise visibilité les soustrairait à la vue des brigands. J'étais partagé entre la tentation de leur souhaiter la même chose et la conscience que cela desservirait nos propres plans. Je me sentais terriblement opportuniste, mais je ne savais plus comment survivre autrement. Combien de gens avais-je tués depuis le début de notre exode ? Je ne savais plus, et je ne voulais pas m'en souvenir.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now