Chapitre 5 - 3 : Le col du loup hurlant (Steelblue)

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Nous étions déjà en septembre quand nous étions parvenus à rejoindre la région montagneuse de la dent d'ours, que j'avais suggérée comme destination alors que nous fuyions sans but. Après les étés passés là-bas, c'était la première idée qui m'était venue quand on avait discuté d'une destination reculée. À l'écart des routes fréquentées, contournées par les chemins de fer, seule la rivière que nous avions remontée s'aventurait un peu sur ces terres déshéritées.

Et pourtant, ces montagnes étaient riches de beauté et de ressources. Leurs flancs trop escarpés leur avaient fait échapper à la modernisation qui gagnait lentement le pays, laissant les habitants en marge du monde, tiraillés entre la méfiance de cette culture qui leur ressemblait si peu et l'aigreur d'être mis à l'écart.

Nous n'avions pas pris le risque d'essayer de nous mêler aux habitants que je connaissais assez pour les savoir renfermés. Nous avions campé et investi des grottes à l'écart des routes, me laissant le soin d'échanger avec la population. Je n'étais pas venu ici depuis plus de quinze ans, et personne parmi ceux que je retrouvais ne reconnaissait l'enfant que j'avais été. Cela n'était pas plus mal, puisque j'étais censé être mort, mais mes souvenirs m'aidèrent beaucoup. Je n'avais pas oublié la gentillesse de celui qui tenait le bar-tabac et vendait les journaux. C'était chez lui que j'allais le plus souvent, j'y avais acheté une carte avec une photo de poule à notre arrivée pour rassurer Roy, et je tâchais de suivre les nouvelles politiques à défaut de pouvoir savoir ce qui se tramait en son ombre.

Nous nous étions débrouillés un temps en vivant à la dure, inquiets d'être débusqués, subissant les intempéries et l'agressivité du climat, et je compris rapidement que nous ne tiendrions pas longtemps dans ces conditions. Les hivers en montagnes sont particulièrement rudes, et si, au sud du pays, il devait encore faire beau et chaud, ici, la neige ne tarderait plus à arriver. La grotte que nous avions trouvée nous protégeait, mais cela restait des conditions bien rudes. De plus, il ne nous restait plus grand-chose comme ressources, que ce soit la nourriture, les munitions, l'argent ou même l'eau. Nous étions parvenus à nous soustraire aux attaques haineuses, mais nous étions loin d'être tirés d'affaire pour autant.

C'était avec cette inquiétude au ventre que j'étais venu chez Meyer, le buraliste, pour acheter un journal et guetter une opportunité. Trouver un travail dans le coin, repérer un lieu abandonné, n'importe quoi qui nous aiderait.

— Salut Steelblue. Tu veux jeter un œil au journal aujourd'hui, c'est ça ?

— Tu me connais trop bien, répondis-je, involontairement ironique.

L'homme était encore en train de fouiller derrière son bar quand quelqu'un poussa la porte, faisant sonner la cloche de l'entrée.

— Mauvaise nouvelle, la route du Nord est bloquée par un glissement de terrain, pas moyen de rejoindre la gare de Yodgi. On ne recevra pas le café aujourd'hui !

— Merde ! Il m'en reste plus beaucoup, je comptais sur cette livraison !

— Il y a des gens qui sont partis dégager les voies ?

— Des villageois sont allés voir, mais ils sont revenus bredouilles, la zone est encore trop instable avec la pluie, ils n'ont pas envie de mourir dans un nouvel éboulement.

— Je peux les comprendre, avoua Meyer. On peut survivre sans café pour l'instant, on ira doucement pour faire durer les réserves.

— Mais le temps de déblayer le terrain et de réparer la route, je ne sais pas comment on va faire. Il n'y a pas que le café, les commandes de quincailleries et les céréales aussi sont bloquées, ça va vite devenir compliqué. Et de notre côté, on avait une grosse livraison de laine à faire. Si elle ne part pas dans le train de demain, la fabrique risque de ne pas être ravie.

— Si la situation ne s'arrange pas rapidement, il faudrait peut-être songer à passer par le col du loup hurlant ? soufflai-je. Il n'est pas encore très enneigé à cette saison.

À ces mots, l'homme qui venait d'entrer eut un rire amer.

— Il n'y a qu'un étranger pour dire ça, cracha-t-il, un peu méprisant. Plus personne ne monte par là depuis un bout de temps.

— Pourquoi ?

— Des pillards se sont logés là il y a quelques années, et s'amusent à détrousser tous ceux qui passent. Entre ça et les avalanches, plus personne ne se risque à aller par là.

— Et l'armée ne fait rien ? m'étonnai-je.

L'Est était pétri de conflits, entre les restes de la guerre d'Ishbal et le Front de Libération de l'Est, mais je pensais que le Nord était épargné.

— Boah, ils s'occupent plus à taper sur nos voisins de Drachma qu'à se préoccuper de ce qui se passe sur nos terres. Ça fait un moment que la région n'est plus très sûre et qu'ils ne font aucun effort pour changer ça...

Évidemment... Autant de conflits qui peuvent motiver les habitants à tenter de créer la pierre philosophale. J'aurais dû y penser.

— Et vous, vous n'avez pas tenté de les déloger ?

— On n'est pas des soldats, on a déjà assez à faire avec notre bétail et nos récoltes ! pesta l'homme en prenant le verre d'alcool que le barman lui avait tendu sans avoir besoin qu'il commande quoi que ce soit. On a abandonné les pâturages qui se trouvent trop près du col et on les chasse s'ils s'aventurent trop près du village, et ça s'arrête là. C'est plus simple de passer par la route du Nord que de mourir la fleur au fusil.

Je hochai la tête, partagé, tandis que je payais et récupérais la Dent de l'Ours, le journal local. Il vendait aussi le Centralien, qui arrivait aux frontières avec deux jours de retard au bas mot. Je le feuilletai à la hâte, gardant un ? il sur l'actualité du pays, et décidai de l'acheter en voyant qu'ils titraient « le fantôme de Barry le Boucher ? Meurtres inexpliqués dans le quartier nord ». Je me souvenais qu'Ed l'avait retrouvé sous forme d'armure quand il était entré dans le cinquième laboratoire. L'idée que ce fou furieux soit de nouveau en liberté et puisse recommencer à découper les gens ne me disait rien qui vaille. En revanche, je ne vis aucun signe de Roy. J'espérais un peu qu'il ferait passer une annonce, quelque chose pour me permettre de reprendre contact avec lui...

Jusque-là, je n'avais rien vu passer qui ressemblait à un signe de ma part. Cela faisait à peine dix jours que nous étions arrivés dans la région, je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas avoir répondu pour l'instant, mais j'espérais qu'il le fasse un jour proche. Mes journaux sous le bras, je restai encore un peu pour discuter avec les deux hommes, me renseignant autant que possible sur la situation du coin. Le visiteur vint et repartit avec son tabac à pipe, et je ressortis à mon tour, bravant la pluie torrentielle qui s'abattait depuis la veille. Une gamine planquée dans la réserve de bois d'une maison attenante me fixait de ses yeux noirs, curieuse face à cet étranger. Je lui lançai un sourire et elle s'enfuit. Son visage fin aux yeux noirs me rappelait un peu Mustang. Peut-être que, tout comme lui, du sang de Xing coulait dans ses veines. En tout cas, ce n'était pas la première fois qu'elle m'observait de loin. Les autres enfants étaient plutôt curieux, mais elle était franchement farouche. 

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now