Chapitre 4 - 1 : Retrouvailles (Edward)

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J'étais dans le train pour Central, seul dans le wagon, la tête dodelinant contre la vitre embuée. Le paysage qui défilait avait déjà la grisaille morne de l'hiver, et par moments, les gouttes d'une fine bruine venaient piqueter les vitres avant de rouler doucement, poussées par la vitesse du train. J'aurais dû ressentir une impatience fébrile à l'idée de revenir à la capitale, de retrouver Roxane après des mois de séparation, mais j'avais l'impression que mes émotions avaient été profondément enterrées. Je ne pouvais penser qu'à l'absence, au vide béant laissé par le devoir de ne pas entrer en contact direct avec mon frère et les militaires. Je regardais par la fenêtre d'un œil vide, étrangement détaché des événements, comme si je n'étais plus concerné par ma propre vie. Il y avait un peu de ça, en réalité.

Je baissai les yeux sur mes genoux, encore étonné malgré moi de me voir porter une robe et des collants. Cela faisait pourtant des semaines que je n'avais plus enfilé de vêtements masculins. Cavale oblige. Dans la chaleur un peu écœurante du wagon, j'avais enlevé mon manteau et mon écharpe, dévoilant un décolleté outrageusement féminin.

« La meilleure partie de mon déguisement », avait dit Winry il y a un moment déjà. J'avais fini par l'admettre de mauvaise grâce, et, avec une paire de lunettes rondes transmutée à la hâte et des tentatives plus ou moins réussies de dissimuler mon épi sur le front, exhiber cette partie de mon anatomie était devenu la nouvelle base de mon uniforme. Ça ne me plaisait pas vraiment, mais je devais admettre que c'était plutôt efficace. Pensif, je fredonnai une mélodie qu'on m'avait apprise récemment, pensant avec un soulagement teinté de mélancolie à celle, qui, durant ces dernières semaines, avait dicté toute ma vie, pour le pire et le meilleur. Mon front s'appuya sur la vitre froide tandis que je me replongeais dans le souvenir de notre rencontre.

oOo

Il y avait presque un mois de cela, je sonnais à la porte d'Olga Fierceagle, danseuse étoile à la retraite, et amie de longue date d'Izumi. Après avoir traversé un jardin si bien soigné que l'automne ne parvenait pas à entamer sa splendeur, j'étais arrivé à la porte d'un manoir percé de trois rangées de sept fenêtres, dont la plupart étaient fermées. Les lieux, imposants et méticuleusement entretenus, étaient à l'image de leur propriétaire. Ce décor, assorti à la description que m'en avait faite mon Maître, fit monter mon trac d'un cran.

— Bonjour, que puis-je pour vous ?

La porte venait de s'ouvrir, laissant voir une domestique portant l'uniforme de la maison, à peine plus grande que moi, franchement boulotte, avec une expression chaleureuse qui surpassait largement la rigidité de son uniforme et de son chignon strict. Je me sentis soulagé par ce visage avenant.

— Bonjour, je voudrais... commençai-je d'une voix rauque avant de tousser pour l'éclaircir et prendre un ton plus aigu. Je voudrais rencontrer Olga Fierceagle pour lui demander si elle peut me donner des cours de danse.

— Oh... répondit l'inconnue, son expression perdant de son entrain. Madame ne donne plus de cours depuis cinq ans, vous avez dû être mal renseignée.

Mes entrailles se nouèrent. Ce n'était pas prévu.

— Elle a des problèmes de santé ? demandai-je avec une inquiétude non feinte, même si ce n'était pas exactement par sollicitude.

— De santé, pas vraiment... Mais elle vieillit, elle a tout simplement choisi de prendre sa retraite.

— Oh... je peux comprendre, murmurai-je, pestant intérieurement à l'intention d'Izumi. Vous êtes sûr qu'elle ne donnera plus de cours ? Je comptais vraiment sur son aide.

— Hum... je ne pourrai pas la convaincre, surtout si vous ne la connaissez pas personnellement.

— S'il vous plaît, c'est vraiment important. Pouvez-vous au moins lui en parler et lui remettre cette lettre ? C'est de la part de l'amie qui m'a conseillé de venir ici.

— Je suppose que je peux faire ça, oui, répondit-elle avec un sourire plein de douceur en prenant l'enveloppe que je lui tendais. Je la lui transmets, mais je ne vous promets pas qu'elle vous recevra.

— Je vais attendre, tout de même, si vous voulez bien.

— Bien sûr, venez vous installer dans le salon, fit-elle en ouvrant plus grand la porte. Voulez-vous que je vous apporte un thé ?

Je hochai la tête avant de répondre à voix haute en réalisant que c'était sans doute impoli de ma part de ne pas le faire.

— Oui, avec plaisir.

— Très bien.

Elle m'adressa un sourire franc en désignant le fauteuil où j'étais invité à m'asseoir, puis, avec une esquisse de courbette manifestement réflexe, elle se retira de la pièce.

Je me retrouvai seul dans le salon haut de plafond, lumineux et impressionnant de luxe. Au-dessus de la table basse, un lustre étincelant de pendeloques de cristal éclairait la pièce pour compenser la luminosité morose de l'automne. Des tableaux aux cadres dorés richement ouvragés couvraient les murs blancs et bleu pâle, et les rideaux damassés étaient tirés sur la terrasse et le jardin au-dehors.

Les lieux me rappelèrent l'appartement de Mustang, m'amenant un petit pincement au cœur. Notre dernière discussion m'avait laissé un arrière-goût amer. Pendant combien de temps allais-je devoir me tenir à l'écart et dissimuler mon identité ? Pour l'instant, je nageais dans le pire des brouillards, ne connaissant pas les contours de nos ennemis, ne sachant pas où frapper, incapable d'imaginer un scénario les concernant dont nous sortirions gagnants. J'étais impatient de retrouver mes proches, non seulement parce que les autres me manquaient terriblement, mais aussi parce que cela signifierait que nous aurions trouvé comment vaincre les Homonculus.

Mais pour l'heure, je n'étais pas censé penser à ça. J'étais censé être une fille de vingt et un ans, aspirant à devenir danseuse et cherchant désespérément qui pourrait me l'enseigner. Une fois les bases en poche et ma fausse identité consolidée, je pourrai me faufiler à Central et profiter de mon statut pour rencontrer beaucoup de monde, laisser traîner mes oreilles et en apprendre le plus possible sans être vu comme une menace. Et peut-être même pourrais — je garder contact avec les militaires par l'intermédiaire de Riza. Elle, qui connaissait ma particularité, était une complice idéale, et je savais que si je lui tendais la perche, elle construirait avec moi un mensonge efficace.

Je n'aurai qu'à dire que je suis sa cousine, pensai-je avec un sourire.

Sur ces entrefaites, une domestique arriva, un plateau de thé à la main. Elle ne put dissimuler sa surprise en me voyant, et je sentis du jugement dans son regard, sans doute à cause de ma tenue. Je la remerciai avec un sourire un peu forcé, et elle ressortit, me laissant seule avec un service de porcelaine à dorures si fin que les tasses en étaient translucides. Je la pris avec d'infinies précautions, mortifié à l'idée de les casser, songeant qu'aucune personne sensée n'aurait laissé le Fullmetal Alchemist manipuler des objets aussi précieux et fragiles.

Je pouvais comprendre ce regard courroucé. Avec mon visage écorché, un manteau beige un peu crotté, le béret de travers, de grosses lunettes rondes, des cheveux dépeignés et des bottes aux semelles épaisses, je jurais totalement dans le cadre raffiné des lieux. D'un coup, je me sentis comme un insecte sur une toile de maître, et compris que je n'avais rien à faire là.

Dans les longues minutes qui s'écoulèrent, je songeai très sérieusement à prendre mes jambes à mon cou plutôt que faire face à l'humiliation à venir. Qu'allais-je bien pouvoir faire si elle me refusait son aide ? Sans alliés ni plan de repli, j'allais vite être à court d'idées. Mais je décidai de tenir bon et serrai les dents malgré mon embarras.

Bien m'en prit. Au bout de ces longues minutes d'attente, la domestique rondelette revint, un petit sourire accroché à la commissure des lèvres.

— C'est votre jour de chance... Après avoir lu la lettre, madame a accepté de vous recevoir. Vous devez encore la convaincre, mais elle vous en laisse au moins la possibilité.

Je bondis sur mes pieds, prêt à relever le défi même si je n'étais pas sûr de savoir quoi lui dire, et en croisant son regard, je sentis une étincelle de bienveillance complice dans son regard. Ou c'était une bonne actrice, ou elle espérait sincèrement me voir réussir. La suite allait me confirmer ma deuxième supposition.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant