Chapitre 3 - 3 : Jour après jour (Roxane)

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Il était presque 11 heures quand j'arrivai au Cercle Bleu, fouillant du regard l'entrée à l'éclairage tamisé pour retrouver ma bande. Le barman, en croisant mon regard, me désigna un des boxes au fond à gauche, avec un petit sourire que je lui rendis volontiers. Connaissant la réputation du lieu, je savais qu'il n'y avait rien d'autre à y lire que des encouragements pour notre projet.

Ce bar, très fréquenté par l'armée avant les événements, avait un statut particulier. Ici, pas de prostituées, mais une complicité silencieuse. Les soldats qui se retrouvaient là pour boire un verre finissaient souvent dans le même lit, quand ils ne passaient pas à l'action dans une des alcôves aux rideaux tirés. Pas de transactions, et pas de prostitution, juste du jazz, des boissons un peu coûteuses et la garantie du silence... Car, même si personne n'était dupe dans le coin, nous savions bien que l'homosexualité restait un tabou à Amestris.

N'étant pas techniquement illégal, il avait échappé à la fermeture, mais le propriétaire restait méfiant. L'État s'occupait du plus évident, mais s'il continuait à durcir les lois, le Cercle Bleu ne tarderait pas à finir sur la liste. En attendant sa chute inéluctable, il nous avait accueillis à bras ouverts, offrant un lieu idéal pour nos petites réunions, feignant de ne rien en savoir.

J'entrai dans la pénombre de l'alcôve du fond où je trouvai les autres en pleine discussion et me faufilai sur le bout d'une des banquettes de cuir avec un murmure d'excuse.

— Désolée pour le retard.

J'avais les pieds et la gorge en feu d'avoir arpenté le marché et parlé toute la matinée pour expliquer le projet, et en ressortais un peu désabusée. Difficile de savoir si ce que je faisais allait vraiment changer les choses, si les gens n'avaient pas oublié notre échange aussitôt après et jeté le papier dès que j'avais le dos tourné. Aussi le verre de vin qui se glissa sous mon nez m'amena beaucoup de réconfort.

— Ça a donné quoi au marché ? demanda June.

— Pfff, Tommy a écoulé son stock et je lui ai donné ceux qui restent. J'ai croisé quelques personnes qui m'ont reconnue, certains m'ont dit qu'ils étaient venus à d'autres réunions, quelques-uns m'ont donné des nouvelles. Et un apiculteur a eu pitié de ma voix cassée et m'a offert un sachet de bonbons au miel, fis-je en le tirant de ma poche avec un peu d'autodérision. Donc ça ne s'est pas trop mal passé. Mais c'est comme d'habitude, difficile de dire qui sera présent cette après-midi. Enfin au moins, de plus en plus de gens connaissent notre existence. Et vous ?

— Niveau politique, les élections sont toujours gelées, et je crois que les candidats eux-mêmes n'y croient plus. Ils sont trop occupés à cacher leurs casseroles à l'armée, de toute façon.

— Même Fresden ? Il avait l'air honnête pourtant.

— Aussi honnête que peut l'être un politicien dans une ville pourrie, répondit June avec un sourire amer. Il y a quand même des rumeurs comme quoi il trempe dans une affaire de détournement d'argent.

— Pfff, pourquoi est-ce qu'il faut toujours que ce soit des pourris qui aient le pouvoir ? soupirai-je, accoudée à la table.

— Parce que les gens honnêtes n'en veulent pas, répondit Pénélope.

Je sirotai mon vin tandis qu'elle annonçait à son tour les dernières nouvelles. Peu de temps après sa libération, elle avait décidé de rentrer dans l'armée, à la stupéfaction générale. Ancienne prostituée, elle partait de rien, mais ses yeux bleu nuit brillaient d'une froide résolution que rien ne semblait arrêter. Pour être honnête, elle me faisait presque peur. Et je ne devais pas être la seule. Elle avait compensé son inexpérience par un acharnement à toute épreuve et avait rapidement progressé, au tir, au combat de corps-à-corps. Finalement, c'était le respect de l'autorité qui lui donnait le plus de fil à retordre.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now