Chapitre 6 - 10 : Colocataires (Roxane)

40 10 3
                                    


Quand la journée s'acheva sans que le téléphone sonne pour moi, cette conviction s'était fissurée, usée par des heures de travail éreintant. Espérant encore que la concierge aurait une bonne nouvelle pour moi, je me changeai en souriant pour ne pas afficher trop ouvertement ma déception auprès de mes collègues. L'une d'entre elles m'avait lancé avec une admiration taquine que j'étais un bourreau de travail. En vérité, j'avais perdu l'habitude de vivre autrement qu'en me jetant à corps perdu dans ce que j'avais à faire. J'avais le sentiment de ne plus savoir faire différemment.

Je rentrai du salon de thé sous une pluie glacée, les pieds endoloris d'avoir piétiné toute la journée, les épaules crispées d'avoir porté des plateaux. La pensée que j'allais devoir, demain, après-demain et les jours suivants encore, faire le service et supporter financièrement le duo que je formais avec Angie pesait lourd sur mon moral. J'avais bien passé une audition sur ma pause de midi, mais j'avais senti dans les regards du jury qu'ils ne me rappelleraient pas. Je passai chez madame Moth, qui n'avait reçu aucun appel pour moi, et ravalai mon dépit en montant les marches. Quand reviendrais-je sur les planches, quand sentirais-je de nouveau la chaleur des projecteurs sur ma peau ? Le quotidien était tellement épuisant, tellement décourageant, que malgré mon envie de danser, j'avais du mal à trouver le temps et l'énergie de m'entraîner le soir venu.

En pensant à tout ça, je poussai un petit soupir désabusé, fouillant mon sac pour retrouver mes clés. Alors que le métal cliquetait dans ma main, j'entendis le bruit de quelqu'un qui se précipitait à travers la pièce en marchant bruyamment, et j'eus soudainement l'impression qu'un gros chien m'attendait à la maison. Je n'eus pas le temps de glisser la clé dans la serrure que la porte s'ouvrit, laissant passer la tête ébouriffée d'Angie, qui me tira à l'intérieur de la pièce avec l'enthousiasme d'un jeune labrador.

— Roxane Roxane Roxane !

— Oui ? fis-je dans un mélange de lassitude et de perplexité.

J'avais encore un peu de mal à avaler le fait qu'elle avait fait une connerie suffisante pour s'être fait virer du boulot que j'avais galéré à nous trouver. Aussi regardai-je son enthousiasme avec un peu de méfiance.

— J'ai été pris à ma dernière audition ! Regarde, j'ai un contrat ! Un vrai contrat ! On va avoir des sous ! Bon, pas beaucoup, mais on va avoir des sous !

Je la regardai, et sentis comme un coup au ventre. Il me fallut quelques instants avant de réussir à sourire. Elle avait décroché un contrat avant moi. Objectivement, c'était une bonne nouvelle, car nos finances n'étaient vraiment pas glorieuses, mais je me sentis trahie par le destin.

— C'est super ! parvins-je à m'exclamer. C'est quoi comme travail du coup ? Tu as quoi comme cachet ?

À ces mots, son sourire se réduisit un peu, comme si le contenu du travail qu'elle avait eu ne valait pas grand-chose par rapport au fait d'en avoir trouvé un.

— C'est un remplacement pour une soirée organisée par des militaires. Il y a une animation surprise prévue, et la danseuse s'est foulé la cheville, du coup, ils cherchaient une remplaçante en catastrophe... quand j'ai entendu ça, je me suis pendue à l'agent qui en parlait jusqu'à ce qu'il accepte de me faire passer l'audition. Coup de chance, je correspondais bien à ce qu'ils cherchaient.

— Et qu'est-ce qu'ils cherchaient ?

À ces mots, elle se rembrunit. Visiblement, ce n'était pas la partie de l'histoire qu'elle préférait.

— Quelqu'un de... p-pas très grand.

Un sourire moqueur dévora mon visage. Je savais que c'était un énorme complexe chez elle, même si je lui avais conseillé de le dissimuler, elle avait beaucoup de mal à ne pas cracher du feu quand on abordait le sujet. Réussir à trouver un travail grâce à ça était tout de même très ironique.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now