Chapitre 2 - 7 : Pluie d'automne (Riza)

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Je discutai encore quelques minutes avec le Sergent, puis pris congé. J'allais avoir deux cent trente-sept pages à étudier ce soir, il valait mieux que je ne rentre pas trop tard chez moi. De plus, la pluie avait traversé mon manteau et mes épaules humides me refroidissaient. Je descendais les marches quand je croisai une vieille dame qui traînait dans son sillage une malle qui devait faire son poids, soufflant et pestant à chaque marche.

— Voulez-vous un peu d'aide ? proposai-je poliment.

— Oh, ce serait bien aimable, soupira-t-elle.

Je souris et attrapai la poignée. Je soulevai le bagage sans trop de peine, comprenant tout de même qu'elle ait de du mal à le hisser. Il ne fallut pas longtemps pour que j'arrive au palier.

— N'allez pas plus haut, j'habite au troisième étage ! fit-elle en montant les marches, tirant sur la rampe pour porter son corps fatigué. Oh mon Dieu... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

Je tournai la tête. Elle venait de voir la porte ouverte de l'appartement de Fisher, et le militaire qui montait la garde.

— Pourquoi il y a tous ces militaires ?

Elle s'avança dans le couloir sans plus se préoccuper de sa valise, avec un air effaré.

— Il est arrivé quelque chose à la petite Mary ?

— Elle... elle a été tuée, annonçai-je maladroitement.

La vieille dame se couvrit la bouche dans une expression choquée, et des larmes roulèrent dans ses yeux sans déborder.

— Vous la connaissiez ? demandai-je d'un ton aussi doux que possible.

— Bien sûr, c'était ma voisine. Une petite dame adorable, discrète et serviable comme on en voit plus. Elle m'a souvent rendu service... Et maintenant, elle est morte ?

Je la vis vaciller et la rattrapai par le bras avant qu'elle ne s'effondre. Visiblement, la nouvelle la secouait.

— Elle était toute jeune... Ce n'est pas dans l'ordre des choses qu'elle ait perdu la vie avant moi.

— Je comprends, bredouillai-je. Je suis désolée de vous annoncer cela.

— Que s'est-il passé ?

— Elle a été assassinée, dis-je en restant volontairement vague.

Étant donné la manière dont elle en parlait, lui expliquer qu'elle était en réalité une terroriste infiltrée au service de l'organisation qui avait tenté d'exploser le centre-ville deux mois plus tôt risquait de la bouleverser encore davantage.

— Oh mon Dieu, c'est terrible. Dans quel monde vit-on ?

— ... L'armée enquête à son sujet... C'est un peu délicat de vous demander cela maintenant, mais... accepteriez-vous de témoigner ? Si vous la connaissiez bien, vous pourriez peut-être faire avancer l'enquête.

— Oui, enfin... oui... Je vais avoir besoin de me remettre de mes émotions...

— Je comprends.

— Je reviens d'un mois de vacances chez mon neveu, et j'apprends ça. Oh mon Dieu, oh mon Dieu...

— Voulez-vous que je vous aide à porter votre valise jusqu'à votre appartement ?

— Oui, s'il vous plaît. Merci. Oh mon Dieu. C'est terrible...

Je la laissai à ses propos brouillons et allai chercher sa malle qui était restée sur le palier. Je la pris, et m'arrêtai à la porte de l'appartement de Fisher pour parler au soldat.

— Prévenez votre supérieur qu'on a un nouveau témoin. Je ne sais pas si elle sera prête à parler tout de suite, mais elle a l'air de bien la connaître.

L'homme me salua et entra dans la pièce pour l'avertir, et je continuai mon chemin dans le couloir tandis que la vieille dame ouvrait la porte en tremblotant. Après avoir lutté pour enfiler la clef dans la serrure, elle entra, et me fit signe de la suivre. Les lieux étaient petits et proprets, décorés avec goût. Elle retira ses bottines, sa petite coiffe en tissu ciré, se débarrassa de son manteau, puis elle enfila des petits patins. En la voyant si soigneuse, je n'osai pas passer le seuil avec mes bottes trempées.

— Entrez, entrez, fit-elle en s'affairant à fouiller dans les placards de la cuisine. Si je peux vous être utile, autant que nous nous mettions au travail rapidement.

J'obéis d'un pas hésitant, observant les lieux, le dossier toujours sous le bras, pendant qu'elle sortait une bouteille contenant un liquide d'une couleur indéfinissable et deux petits verres. Elle s'en servit un et but cul sec ce que je supposai être une quelconque eau-de-vie, et se resservit aussitôt.

— Vous en voulez ? C'est mon neveu qui la fait. La meilleure eau-de-vie de prune de Lautoxan.

— Non merci... jamais pendant le service.

Sur ces entrefaites, le Sergent arriva à son tour, accompagné d'un soldat, et elle leur fit la même proposition, avec la même réponse. Elle haussa les épaules et se servit un troisième verre avant de nous inviter à nous asseoir à sa table.

— Pouvez-vous nous parler un peu plus de Mary Fisher ? Quand l'avez-vous rencontrée ?

— Quand elle a emménagé, il y a... quatre ans de cela, je dirais ? Je lui ai proposé de venir prendre le thé chez moi, et nous avons tout de suite sympathisé. Cela dit, elle était assez discrète, je crois qu'elle parlait assez peu aux autres voisins... Enfin, il faut dire que la plupart d'entre eux sont déjà assez occupés. Il y a beaucoup de familles dans l'immeuble.

Je hochai la tête, constatant du coin de l'œil que mon collègue prenait des notes en sténographie.

— Pour ma part, je suis retraitée, donc j'ai du temps libre... Quand je ne voyage pas. Je vais souvent chez le fils de mon frère. Il habite au Nord dans la maison familiale... Il me dit que je devrais revenir, mais vous voyez, je ne me vois plus vivre à la campagne, je suis une Titi de Central, vous comprenez. J'aime vraiment cette ville.

Je vis le Sergent hocher la tête, se demandant probablement s'il ne devrait pas la couper pour réorienter son propos.

— Enfin, ma vie ne vous intéresse pas vraiment, c'est la pauvre petite Mary qui vous concerne. Nous nous rendions souvent service mutuellement, elle m'aidait à porter mes courses ou arrosait mes plantes quand j'étais en voyage, et je lui faisais de bons petits plats... Elle travaillait tard à l'Armée, donc elle n'avait pas souvent le temps de cuisiner...

Elle poussa un soupir, tourna la tête vers un pot de fleurs où un arbuste desséché tentait de survivre.

— Elle n'a pas pu s'occuper de mes plantes, la pauvre petite. Elle était pourtant si soigneuse... ça ne m'étonnerait pas que de là où elle est, elle se tourne et retourne en pensant à ces plantes fanées...

J'eus un sourire triste. Cela avait quelque chose de touchant et dérangeant à la fois de voir comment cette dame s'était attaché à la terrible Mary Fisher, celle qui avait mis le chaos dans notre QG. J'imaginais un instant le choc que représenterait la rencontre entre Hewitt et cette vieille dame affectueuse.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now