90 ~ Agonie

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Tout ce que je ressens, c'est une lancinante douleur qui dévore avidement chaque parcelle de mon corps meurtri. J'entends encore très bien le son déchirant des os de ma colonne vertébrale qui se brisent, et je me souviens parfaitement de la souffrance qui s'est répandue en moi comme une trainée de poudre. J'aurais voulu me relever et hurler ma peine au monde entier, mais mon corps refuse catégoriquement de m'obéir. Je suis même incapable de lever le petit doigt.

J'aurais voulu hurler une nouvelle fois lorsqu'un poids s'écrase lourdement sur le bas de mon corps. Je sens très nettement chaque parcelle de mon corps située sous mon bassin se ratatiner sinistrement sous le poids de gravats. J'avais déjà peu d'espoirs de m'en sortir avec une colonne en vrac, alors je n'ose même pas imaginer dans quel état je sortirai d'ici avec des jambes en miette, si toutefois je parviens à survivre à cette bataille.

Je suis terriblement seule, agonisant sur les pavés de Shiganshina. Je n'ai que mes plaies et ma douleur pour ne tenir compagnie. Même lorsque j'ai perdu ma jambe, il ne me semble jamais avoir ressenti une telle souffrance dans ma vie. Livrée à moi-même, je suis bien vite rattrapée par mes idées sombres. Après tout, peut-être que je mérite ce qui est en train de m'arriver, ce n'est qu'un juste retour des choses. J'ai trahi le bataillon en libérant Reiner et en livrant Eren à Kenny, j'ai trahi Reiner et les autres en leur dérobant Eren, et j'ai trahi Kenny en allant tout avouer au bataillon.

Livaï a raison. Je ne suis qu'une traitresse, une paria. Je change de camp comme de chemise selon mon humeur. J'ai blessé tellement de gens avec mes viles machinations, je mérite ce qui m'arrive. Je mérite de ressentir cette lancinante douleur sans pouvoir réagir. Quelques larmes finissent par couler le long de mes joues, et je suis incapable de les retenir. Je veux hurler ma peine au monde entier, mais je suis incapable d'émettre ne serait-ce que le moindre petit gémissement.

Je sens le sol trembler sous mon corps, probablement à cause des pas d'Annie non loin de moi. Mon cœur se serre dans ma poitrine en imaginant Jean affronter seul le titan féminin par ma faute. Je l'ai mis en danger en agissant aussi imprudemment. Tout ce que j'espère, c'est qu'il parviendra à venir à bout de cette sale peste et qu'il s'en sortira vivant.

La douleur ne cesse de croitre et de s'intensifier en moi, si bien que j'en ai des migraines. J'ai l'impression que je vais exploser tant cette souffrance insoutenable me fait vriller. Mes pensées s'embrument et je ne suis plus capable de réfléchir sciemment. Les tremblements du sol deviennent de plus en plus lointains et légers tandis que ma peine ne fait qu'augmenter de manière exponentielle. Je hurle à m'en faire exploser les poumons pour extérioriser ce mal qui me ronge, mais aucun son ne franchit la barrière de mes lèvres. A vrai dire, je ne parviens même pas à ouvrir la bouche.

Aucun muscle ne répond et je me sens une nouvelle fois prisonnière de mon propre corps, impuissante. De silencieuses larmes dévalent abondamment mes joues, seul signe attestant de mon calvaire. Une migraine foudroyante s'empare de moi lorsque la douleur atteint son apogée. Mon corps est pris de convulsions, ou du moins c'est l'impression que j'ai, et les ténèbres qui m'entouraient laissent soudainement place à une clarté aveuglante.

Je me redresse en sursaut et en hurlant à pleins poumons pour exhaler ma peine. Je papillonne des cils pour chasser mes larmes et pose une main sur mon cœur pour tenter d'en calmer les battements affolés. Je tressaille lorsque deux bras puissants m'attrapent avec délicatesse et me forcent à me rallonger dans un lit moelleux. Je fixe un instant le plafond de cette pièce sinistrement blanche en fronçant les sourcils. Mais qu'est-ce que je fiche ici ?

La sueur fait coller mes cheveux à mes tempes, et j'envoie valser la couette tant j'étouffe. Ma respiration saccadée se mêle dans une étrange mélodie à la respiration étrangement calme de la personne allongée à mes côtés. L'insupportable souffrance qui m'étreignait de toutes parts quelques instants plus tôt s'est évaporée en un instant pour laisser place à une étrange impression de vide.

A l'ombre des murs [Livaï x OC] | Wattys 2021 | Wattys 2022Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon