51 ~ Existence monotone

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Mes journées se résument à présent à enchainer des tâches tout aussi barbantes les unes que les autres. Avant les repas, je prête main forte aux cuisiniers en épluchant des patates. Après ça, j'inventorie tout ce qui est possible et imaginable, des stocks de nourriture aux stocks d'armes, en passant par les uniformes des soldats ou le matériel de bureau. J'ai l'impression d'avoir compté et inventorié le moindre grain de poussière de cette foutue base militaire. Je prends également note des comptes-rendus d'incidents mineurs intervenus dans le village voisin, et je suis chargée de recopier certains ouvrages des archives car l'encre commence à s'effacer. Décidément, ma vie est devenue palpitante.

Si je voulais rendre mon histoire plus dramatique, je dirais que j'ignore depuis combien de temps je suis embourbée dans cette barbante routine. Seulement ce serait mentir, car j'ai minutieusement compté chaque jour qui me sépare de mon ancienne vie avec amertume. Dix-sept. Voilà dix-sept putain de jours que je suis coincée dans cette existence morne et sans but précis. C'est donc à ça que va se résumer mon existence à présent ? Compter tout ce qui est comptable et retranscrire des manuscrits dont tout le monde se moque éperdument ?

Je masse mes temps et relève lentement la tête vers le soldat à l'air ahuri planté face à moi. Et dire que cet abruti ne mesure pas la chance qu'il a de se tenir debout sur ses deux jambes et de pouvoir se déplacer sans béquilles. Cet abruti se creuse le peu de méninges qu'il a pour tenter de se remémorer l'incident auquel il vient d'assister.

– Tu te souviens quand même quel chariot a foncé dans lequel, non ? soupiré-je.

Le soldat gringalet déglutit difficilement avant de secouer frénétiquement la tête. J'inspire profondément pour tenter de me calmer et ne pas l'encastrer dans le mur tant il m'insupporte. L'homme me fixe en tremblant comme une feuille morte. J'ignore pourquoi il semble avoir si peur de moi alors qu'il est vétéran et que je ne suis qu'une nouvelle recrue.

– Et de quelle couleur était le cheval ? ricané-je pour me moquer de lui.

Le soldat sursaute lorsque je lui adresse la parole avant de secouer fébrilement la tête. Deux chariots sont entrés en collision et cet homme est le seul témoin de cet incident. Il n'est pourtant pas d'une grande utilité dans la rédaction du rapport car il ne se souvient de rien. A part me dire « Bah les deux chariots se sont foncés dedans », il ne m'a rien appris. Il n'est même pas capable de me dire qui était en tort, ou encore le nombre de blessés.

Excédée, je pose brutalement ma plume sur mon bureau et baisse la tête en me massant les tempes. Qu'est-ce que je vais écrire sur ce putain de compte-rendu ? Je ne peux quand même pas dire que l'abruti de soldat témoin de la scène ne se souvient de rien. Je redresse lentement la tête lorsque j'entends le soldat se râcler faiblement la gorge pour me signifier sa présence.

– Je ... Je peux y aller ? supplie-t-il d'une voix faiblarde.

Je le fusille du regard et esquisse un rictus lorsqu'il se tasse sur lui-même, avant de faire un geste dédaigneux de la main lui indiquant qu'il peut disposer. Il ne se fait pas prier et décampe vite fait bien fait du cagibi qui me sert de bureau de travail. Je pousse un long soupir avant de reprendre ma plume pour achever mon compte-rendu. Je coupe la poire en deux en indiquant que les deux parties sont en tort, comme ça pas de jaloux.

Une fois achevé, je range mon rapport tout en haut de la pile avec les autres avant de pousser un nouveau soupir dépité. Je m'affale lourdement sur mon bureau, ruminant mes pensées sombres. Des idiots comme ce soldat, j'en vois passer à longueur de journée à présent, et ça me déprime au plus haut point. Quelle vie de merde.

Déprimée, je ne sourcille même pas lorsqu'on toque à ma porte et que celle-ci s'ouvre dans un grincement sinistre. Je n'ai même plus envie de relever la tête par peur de croiser le regard ahuri d'un énième abruti du bataillon venu me rapporter des faits barbants.

A l'ombre des murs [Livaï x OC] | Wattys 2021 | Wattys 2022Where stories live. Discover now