A l'ombre des murs [Livaï x OC] | Wattys 2021 | Wattys 2022

52 ~ Sensation oubliée

Une douce brise vient soulever quelques mèches rebelles s'échappant de ma queue de cheval. En fermant les yeux, je pourrais presque retrouver les sensations que j'éprouve en voltigeant avec mon équipement tridimensionnel. Presque. Un frisson parcourt mon échine lorsqu'une nouvelle bourrasque de vent me frappe de plein fouet. Je fixe mes jambes qui remuent faiblement dans le vide, enfin plutôt ma jambe et mon moignon.

Le soleil devient de plus en plus bas à l'horizon, signe que c'est bientôt l'heure du repas. Etonnamment, je n'ai pas très faim. Je perds l'appétit et l'envie de vivre à mesure que mon existence morne et sans but se poursuit. J'en ai plus qu'assez d'être un poids mort et d'être incapable de faire quoi que ce soit par moi-même depuis maintenant vingt-huit longs jours. Je finis par me dire que ce titan aurait peut-être mieux fait de m'achever pour abréger mes souffrances.

– Qu'est-ce que tu fous là, merdeuse ? T'es pas censée éplucher des patates à cette heure-ci ?

Je sursaute lorsque la voix lointaine du caporal Livaï parvient à mes oreilles, manquant de peu de tomber du bord du toit sur lequel je suis assise. Je baisse les yeux et vois le nabot me fixer de ses petits yeux sombres, les mains sur les hanches. Je pousse un long soupir qu'il ne peut pas entendre et détourne mes yeux pour les poser sur la cime des arbres s'étendant face à moi. Des bruits de câbles sifflent à mes oreilles et je devine que le caporal vient de me rejoindre sur ce toit.

Du coin de l'œil, je le vois me toiser de haut, les bras croisés sur son torse. Je devine sans peine son regard empli de reproches me détailler de la tête aux pieds, n'acceptant pas que je baille aux corneilles de la sorte. Honnêtement, je m'en fous complètement qu'il soit remonté contre moi. Qu'est-ce qu'il compte faire de toute façon ? Me casser la gueule ? Me mettre au trou ? Me jeter du haut du toit ? Franchement je n'en ai rien à foutre, rien ne peut être pire que la monotonie de ma nouvelle vie.

– Je peux savoir ce que tu fous ici ? grogne-t-il.

– Non, rétorqué-je du tac au tac.

Je pousse un long soupir et m'allonge sur le dos, les bras en éventail, dépitée. Le visage fermé et contrarié du caporal apparait dans mon champ de vision. Son expression semble s'adoucir lorsqu'il capte mon regard dénué de quelque émotion que ce soit. Il secoue la tête pour remettre ses idées en place et retrouve son éternelle indifférence. Il croise les bras et tape du pied pour exprimer son mécontentement.

– Pourquoi tu n'es pas en train d'éplucher des patates ?

– Parce que j'en ai rien à foutre de vos putains de patates.

Le gnome serre les poings et m'empoigne par le col pour me remettre sur mes pieds, enfin plutôt sur mon pied. Son regard plein de hargne m'aurait probablement glacé le sang autrefois, mais aujourd'hui il ne me fait ni chaud ni froid.

– Qu'est-ce que vous allez me faire ? soufflé-je. Me donner des corvées que je ne pourrai pas effectuer à cause de ma blessure ? Me casser la gueule alors que je suis incapable de me défendre ? M'envoyer au trou ? Je pense que rien ne peut être pire que ma vie actuelle.

J'ai énormément de mal à déchiffrer l'expression du caporal suite à ma déclaration. Il semble troublé, bien qu'il le dissimule plutôt bien. Son visage se détend et il finit par me reposer doucement sur le sol. Je mouline des bras un instant pour trouver mon équilibre sur une seule jambe avant de finalement poser une main sur l'épaule du caporal pour ne pas me rétamer. Je ferme les yeux et inspire profondément lorsqu'une nouvelle brise vient effleurer ma peau.

– Qu'est-ce que j'aimerais pouvoir à nouveau utiliser l'équipement tridimensionnel pour avoir la sensation de voler, soufflé-je.

Je rouvre les paupières en entendant le caporal pousser un long soupir à son tour. Ses yeux acier me dévisagent tristement. Est-ce qu'il comprend ma peine ou est-ce qu'il a pitié de ma misérable vie ? Je fronce les sourcils lorsque Livaï me tourne le dos avant de s'accroupir devant moi. Mais qu'est-ce qu'il fait ?