Chapitre 1 - 4 : En suspens (Winry)

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Al me suivit, tandis que les adultes acceptèrent un café avant de s'asseoir sur les tabourets hauts, près de l'entrée, gardant un œil sur nous tous en nous laissant un peu d'espace. Al s'affala sur le canapé et je le suivis de près, poussant un soupir d'aise en constant qu'il m'avait laissé la place la plus proche de la cheminée. Je tendis les mains vers le feu, autant par besoin de me réchauffer que par plaisir, et jetai un coup d'œil au mécanicien parti se laver les mains et s'affairer derrière le comptoir.

Quelques minutes après, il arriva, un plateau chargé à la main, et posa celui-ci sur la table aussitôt après que j'ai repoussé les quelques journaux qui y traînaient. Il versa les boissons dans des mugs de céramique émaillée et nous les tendit. Je pris la tasse brûlante dans mes mains et la posai sur mes genoux, tandis que nous reprenions notre discussion sur la fabrication d'automails, et, à demi-mot, l'idéologie qui se cachait derrière. Je me rendis compte qu'il me tutoyait depuis un moment. Cela ne me dérangeait pas, au contraire, j'avais tellement peu l'habitude d'être vouvoyée que je trouvais ça plus gênant qu'autre chose.

— En tout cas, ça fait plaisir de voir une mécanicienne, ça change !

— Ah... oui, bredouillai-je machinalement.

— Je trouve ça bien, c'est assez rare, les femmes, dans le milieu. Défends ta place !

— Comment ça ? fis-je, un peu surprise.

J'avais grandi aux côtés de Pinako, et j'en avais tiré tout naturellement la conclusion que c'était un métier féminin. Pourtant, à ces mots, une réalité me frappa. Lors de mes promenades à Rush Valley, je n'avais parlé presque qu'avec des hommes.

— Hé bien, ne laisse pas les autres sous-estimer la qualité de ton travail. Parce que si ta réalisation est à la hauteur de tes plans, tu as déjà un niveau assez remarquable.

Le compliment me fit rosir.

— Enfin, si tu veux progresser, ce n'est pas en restant ici que tu trouveras de quoi faire. Va à Rush Valley, et bataille pour être engagée dans un des meilleurs ateliers. À mon avis, s'ils te refusent d'y entrer, quand on voit ce que tu fais à quinze ans, ils s'en mordront rapidement les doigts !

— Merci, fis-je en pataugeant dans mon embarras et ma déception, mais je ne suis pas sûre de pouvoir faire ça... Je n'ai pas prévu de quitter Dublith.

— Oh... c'est dommage. J'espère que tu y réfléchiras !

Je hochai la tête, et le silence retomba, à peine troublé par les cliquetis de la pluie sur le rebord de zinc à l'extérieur de la vitrine et les craquements du bois dans le feu. Pour la première fois depuis des jours, et malgré le dilemme qui me tiraillait entre rester ici et partir pour Rush Valley, je me sentis bien.

Nous restâmes un moment à discuter tandis que la pluie cognait les vitres, étrangement distante depuis ce canapé auprès du feu. Après avoir parlé technique, le mécanicien adressa la parole à Alphonse, qui lui répondit et démarra avec lui une discussion sur les commerces de la ville. Bien que jusque-là, Al n'ait pas décroché un mot, il y eut une sorte de complicité immédiate entre eux. Il connaissait bien Dublith, et on sentait dans leurs échanges l'affection qu'ils portaient à cette ville. Et puis, Al avait toujours eu cette facilité presque écœurante à prendre contact avec n'importe qui... à croire qu'il ne comprenait pas le concept de timidité.

Le mécanicien, dans un acte de tolérance, entama la discussion avec les deux militaires qui répondirent poliment à ses questions, sans trop oser sortir de leur réserve. A cette occasion, j'appris leurs noms, âge, grade, et quelques petites choses sans importance, comme s'ils aimaient le café bien noir et les chiens. 

Me désintéressant de la conversation, je plongeai le regard dans le feu en me mordillant pensivement l'intérieur de la joue. Ces petits fragments d'informations les rendaient un peu plus humains, et je n'y tenais pas spécialement. Je savais bien, au fond, qu'ils ne faisaient que leur travail, et que celui-ci ne leur plaisait probablement pas... mais voilà, il était plus facile de haïr quelqu'un quand on pouvait le considérer comme l'incarnation du mal. Je n'avais pas envie qu'ils soient des humains comme les autres.

Toutefois, en me perdant dans les flammes, ce furent surtout les souvenirs de forge, et l'envie de travailler de nouveau le métal qui m'envahirent. Je sentais presque les doigts me démanger, et tapotait machinalement du pied pour évacuer quelque part cette frustration. Al, qui l'avait sans doute remarqué, me tapota l'épaule, et je tournai la tête vers lui.

— Ça va ?

— Ça va, répondis-je en lui lançant mon sourire habituel, en espérant que celui-ci ne soit pas trop crispé.

Il me regarda avec une expression rassurante qui détonnait avec son visage trop jeune, et me tapota l'épaule avant de revenir à la conversation. Je m'enfonçai un peu plus dans le canapé informe et plongeai les yeux dans l'âtre dont les flammes dansantes m'hypnotisèrent un moment.

— La pluie a l'air de se calmer... vous devriez en profiter pour rentrer chez vous, commenta Biff.

— Oui, vous avez raison... Winry, tu as encore des questions, ou on rentre ?

— Hum... pas vraiment.

En vérité, j'aurais bien demandé à visiter son atelier, voir l'équipement, et passé des heures à parler mécanique avec cet homme, si je n'avais pas été engoncée à ce point dans mon incertitude. Pour travailler, il fallait partir... Voulais-je vraiment partir ? En avais-je le droit ?

Sans avoir réussi à chasser ces questions, je remis mon manteau réchauffé par la cheminée qui chuintait et crépitait amicalement. Personne n'avait envie de ressortir affronter la pluie de novembre, mais bon... il fallait bien partir ? Nous étions déjà restés bien plus longtemps que prévu, et il aurait été dommage d'inquiéter Sig Curtis, qui gardait tout de même un œil sur nous.

Nous prîmes congé de Biff qui nous invita à repasser quand bon nous semblait, avec une politesse affable, avant retourner travailler une fois que nous avions fini de faire tinter la clochette de la porte.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesWhere stories live. Discover now