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Elle

C'est la première fois depuis longtemps que je vois ma mère dans une tenue aussi formelle. Elle ne me répond pas et affiche une mine triste. Vu la tête qu'elle fait, elle n'a pas dû avoir ce poste, ce qui m'étonne peu vu que la malchance est le troisième enfant de ma mère. Je soupire et me retourne quand la femme derrière moi crie à tout casser.

- IL M'A PRISE !

- Aaah !

Si c'est un rêve, j'espère ne jamais retourner dans le monde des vivants. Je saute de joie dans les bras de ma mère sans. On tourbillonne pendant un moment et j'oublie presque ma journée merdique. Je n'arrive pas à y croire, ma mère va enfin travailler. J'imagine déjà toutes les dingueries qu'on pourra se permettre d'avoir avec son salaire.

- Je suis très contente pour toi maman, félicitations. Alors qu'est-ce que tu comptes faire avec ton premier salaire ?

- Changer les quelques appareils abîmés de la maison.

Ok, toute la cuisine dans ce cas.

Je lui fais une bise avant de prendre mon sac pour m'enfermer dans ma chambre et me lamenter sur mon propre sort.

Je ne suis pas le genre de fille qui raconte toute sa vie à sa mère, non, je préfère pleure puis passer à autre chose...en fait non. Je sais habiter dans le passé mieux que n'importe qui, c'est pour ça que j'ai encore une dent contre mon frère quand il m'a filé ses pellicules en se brossant les cheveux au-dessus de la tête, il y a 11 ans, j'avais quel âge ? 6...oui je m'en souviens encore. Au bout du couloir, ma mère m'interpelle.

- Tu as quelque chose à faire Amber ?

- Non.

Si ce n'est me lamenter dans mon lit. Je déteste quand ma mère me demande si j'ai quelque chose à faire, ça signifie qu'elle veut que j'aille lui achète un truc.

- Il me faut juste une brique de lait pour...

- Passe-moi l'argent, la coupais-je.

Elle sort un billet de son sac et me tend 5 dollars.

- Tu ne préfères pas d'abord te changer ?

- Plus vite j'aurais fini, mieux ce sera.

J'arrache presque le billet vert et bondit vers la sortie, elle sait bien que je déteste aller acheter des choses à la supérette. Qui va remonter les longues marches de l'immeuble ? Amber. Qui va devoir supporter le regard méprisant de la caissière ? Amber.

Sur le trottoir, je rencontre Charlie, un sans-abri que j'ai décidé d'aider à chaque fois que je passe devant lui. Je dépose 1 dollar dans son assiette. Cet acte généreux me valut un sourire jaune. Le magasin est un tout petit endroit. Les initiales de la supérette auparavant inscrites avec des baguettes sur la façade-avant ont disparu avec la pluie du dimanche dernier. À proximité de là, il y a toujours ce groupe de garçons qui glandent et boivent de l'eau dans des bouteilles transparentes...mais c'est tout sauf de l'eau. Les rayons sont exactement comme la chambre de Tyler avant la puberté, sales et désordonnés. Je prends une brique de lait au rayon des vins et liqueurs et vais affronter la caissière. Solange regarde le seul article que je veux acheter et l'enregistre avec cette déplaisance qui lui est familière. Quand elle me rembourse et je me précipite dehors, trop étouffée par l'air chaud de la pièce.

Juste avant que je ne change de trottoir, le chauffeur d'une limousine klaxonne devant la supérette.

INACCESSIBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant