S U A H N I E B

By SaintGr

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1938. Un obscur Institut nazi ouvre ses portes en pleine Forêt Noire. Pour Viktor, accusé d'infraction au pa... More

Introduction / avertissement de contenu / bibliographie
P E R S O N N A G E S
Partie I : Le messager / prologue : Viktor
1 Nina
2 Bruno
3 von Falkenstein
4 Nina
5 Bruno
6 von Falkenstein
7 Nina
8 von Falkenstein
9 Bruno
10 Nina
11 von Falkenstein
12 Nina
13 Bruno
14 von Falkenstein
Partie 2 : La fosse, la mort et la charogne
1 Wolff
2 von Falkenstein
3 Wolff
4 von Falkenstein
5 Wolff
6 von Falkenstein
7 Wolff
8 Ania
9 von Falkenstein
10 Wolff
11 von Falkenstein
12 Ania
13 Wolff
14 von Falkenstein
15 Ania
Partie 3 : sǝɹqɯo sǝן
1 Nina
2 Bruno
3 Ania
4 Nina
5 von Falkenstein
7 von Falkenstein
8 Ania
9 Wolff
10 Ania
11 von Falkenstein
12 Ania
13 (von Falkenstein)
? Fowlf
14 Ania
15 Ania
16 von Falkenstein
17 Ania
18 Nina
19 Hans
Partie 4 : Teuflisch
1 Ania
? Wfofl
2 Ania
3 Vkitor
4 Brnuo
5 Nina
? Viktor
6 Ania
7 Ania
8 Hans
9 Ania
10 Ania
11 Gestalt
12 Hans
13 Nina
14 Gestalt
15 Hans
16 Ania
17 Hans
18 Ania
19 Hans
5 Othalan
1 Nina
2 Bruno
3 Hans
4 Ania
5 Anneliese
6 Hans
7 Nina
8 Ania
9 Hans
10 Ania
6 D'une manière ou d'une autre
1 Hans
2 Ania
3 Hans
4 Nnia
5 Hans
6 Ania
7 Ania
8 Ania
9 Hans
10 Hans
11 Ania
12 Ania
13 Ania
14 Ania
15 Ania
16 Ania
17 ---a
18 Hans
19 Hans
20 Hans
21 Anneliese
Partie 7 : terre des tombes / 1 Krauss
2 Hans
3 - - - -
4 Hans
? Muller
5 Ania
6 Ania
7 Ania
8 Hans

6 Ania

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By SaintGr

Comme elle ne s'exécutait toujours pas, il finit par poser une main sur son épaule. D'un tapotement quasi-amical, ce geste se transforma bien vite en une poigne d'acier qui lui broya la chair. La douleur irradia sourdement jusqu'à son coude. Le fait qu'il ne portât pas de gants la troubla pour une raison indéfinissable.

— Allez, ajouta von Falkenstein avant de renifler. D'abord la brique. On verra pour le lapin après.

Ania cilla, sentant le malaise l'envahir. Krauss la fixait d'un air attentif par-dessus son pupitre désorganisé, tout comme Bruno, un reflet terne jouant sur ses lunettes. Comme toujours en la présence de von Falkenstein, le monde peuplé de ténèbres mouvantes qui l'entourait parut s'atténuer. Les ombres se firent plus petites, se collant dans les recoins, chassées et apeurées comme des souris. C'était vraiment étrange. Peut-être que s'il restait en permanence à sa proximité, elle en finirait par oublier jusqu'à leur existence. Cette perspective la rassérénait et la terrifiait en même temps. Elle ignorait quelle alternative était préférable. Au bout du compte, elle ne ferait que de passer d'un enfer à un autre.

— Si à dix, y a rien qui bouge, je t'éclate la face, ajouta-t-il d'un ton blasé. Alors, un... deux...

À trois, Ania chercha désespérément Nina du regard. Celle-ci s'était détournée, contemplant l'extérieur de l'Institut par la fenêtre. Elle aussi avait peur de von Falkenstein. Bien moins qu'elle, c'était certain, mais tout de même. À quatre, elle croisa l'expression de Bruno, qui l'encouragea d'un sourire franc. À cinq, elle commença à s'affoler et à six, elle se mit à prier en silence.

— Sept, dit von Falkenstein en la secouant doucement par l'épaule. Allez, quoi.

Vaincue, Ania ferma les yeux. Elle laissa les réminiscences de la fosse gargouiller en elle, elle lui demanda de venir, de la délivrer – de faire cesser toute cette mascarade tordue ; au bout d'une semaine, elle n'en pouvait déjà plus, que ce soit du russe boiteux de Krauss ou de rester enfermée dans cette pièce imprégnée par l'humidité et le silence. Elle saisit la première tâche qui se présentait à elle – c'était celle de Nina, la plus faible, la plus discrète et la plus effacée, et lui ordonna de prendre la brique brune posée sur la table. Elle n'avait jamais essayé de les faire agir sur autre chose que sur leurs propriétaires. Elle ignorait si les ombres étaient capables de déplacer des objets. Trop effrayée par leur existence, elle n'y avait guère songé.

Glissant au sol comme de la cire, le reflet de Nina s'avança prudemment vers son pupitre. Il ne possédait ni visage ni yeux. Cette ombre-là n'était pas née il y a longtemps, Ania le sentait. Elle était encore toute jeune, pas tout à fait formée encore, aussi mince et transparente que du papier de mauvaise qualité, dépourvue de la difformité de ses aînées. L'obscurité qui bouillonnait en elle était aussi diluée que la fumée de la cigarette que venait de s'allumer von Falkenstein de sa main libre. Sans ouvrir la bouche, elle lui demanda de bouger la brique.

Aussi docile que les autres, l'ombre étendit un de ses membres filandreux. En le voyant s'enfoncer dans la pierre poreuse, Ania comprit qu'elle était trop faible et qu'elle aurait dû en choisir une autre. Elle en eut les larmes aux yeux. Elle ne voulait pas avoir mal, alors elle insista, força, comme la main qui forçait sur son épaule, et dans un pitoyable jeu de marionnettes, le reflet raffermit sa prise sur le parpaing.

La brique glissa lentement, écorchant le bois. Quand elle tomba dans un choc étouffé, von Falkenstein siffla d'admiration. Krauss se redressa à moitié, les mains posées sur son pupitre. Bruno, au contraire, se recula encore un peu, comme s'il avait peur de se la recevoir dans la figure. Elle ne voyait pas Nina, mais l'entendit applaudir avec enthousiasme. Soucieuse de bien faire, elle contraignit l'ombre à traîner la brique encore un peu, et tous observèrent cet étrange phénomène en silence. L'instant d'après, la pression pesant sur le haut de son bras disparut et Ania se retint d'en crier de délivrance.

— Tu vois, lui dit von Falkenstein. C'était pas si compliqué.

Krauss lui fit une remarque en allemand. Avec un soupir excédé, il se débarrassa de son mégot et l'écrasa du talon. Ania dut retenir un frisson à chaque crissement de semelle. Bruno ajouta quelque chose. Elle commençait à étouffer. Dans sa prison, le lapin s'agitait à nouveau, comme s'il sentait son mal être.

— Bon, déclara von Falkenstein en assenant une tape sur le haut de la boîte.

Affolée, la petite bête aux yeux noirs et exorbités se débattit de plus belle, ruant le fond de ses longues pattes arrière.

— C'est son tour maintenant, ajouta-t-il en tirant sur le verrou.

Interdite, Ania ne dit rien. Grippée, la grille refusa de s'ouvrir et von Falkenstein jura en allemand. La fermeture principale finit par céder dans un claquement plaintif, et la maille s'entrouvrit d'un centimètre à peine.

— Décidément, c'est pas mon jour, commenta von Falkenstein avec lassitude, avant de sortir un petit couteau au manche usé de sa poche de poitrine.

Sentant l'appréhension la remplir à l'instar d'une eau bouillante, Ania s'efforça de respirer normalement alors qu'il s'escrimait à décoincer le gond récalcitrant. Le son de la lame fourrageant dans un raclement d'acier contre de l'acier l'hypnotisa au point de lui faire oublier ce qui l'attendait ensuite.

Gottverdammt, s'écria von Falkenstein en se débarrassant de l'opinel d'un geste agacé avant de tirer sur la grille à mains nues.

Celui-ci glissa jusqu'à sa casquette. Pendant un court instant, Ania fut tentée de le saisir pour le lui planter dans la jambe. La tête de mort épinglée sur le képi l'en empêcha. Von Falkenstein était plutôt mince, ce qui ne l'empêchait pas d'être musclé et réactif comme un lézard dérangé en plein bain de soleil. Il lui faudrait bien plus que ce ridicule coupe-papier pour se débarrasser de lui, Ania le savait. Elle ne pouvait demander à une ombre de l'étrangler, alors elle n'avait plus qu'à le faire elle-même. Mais cette idée lui était presque inconcevable. Si jamais von Falkenstein venait à disparaître, elle ne connaîtrait plus aucun moment de repos, hantée par les présences fuligineuses à chaque fois qu'elle entrait dans des pièces où elle n'était pas seule. C'était aussi injuste que le fait qu'il soit le seul à être capable de lui apporter le réconfort de sa langue natale au milieu de tous ces étrangers, et cela lui donnait envie de s'assommer elle-même contre cette maudite table.

Le pire, c'était cette indulgence dont il la gratifiait. Contrairement à ses parents, il ne la frappait pas lorsqu'elle évoquait l'œil-dieu. Les coups, c'était quand elle ne faisait pas ce qu'il lui demandait. En dehors de ça, il la laissait parler. Il lui permettait de s'exprimer librement. Il l'écoutait, même, avec encore plus d'attention que Vladi. Ania détestait ressentir cette reconnaissance ignoble envers lui, tout comme elle détestait le mince foyer de chaleur que cela allumait dans sa poitrine.

La boîte s'ouvrit enfin à force de ténacité. Le lapin fit mine de bondir à l'extérieur et von Falkenstein l'attrapa par les oreilles dans un réflexe qui tenait de l'extraordinaire. Ania se doutait qu'il en ferait de même avec elle si l'idée incongrue d'imiter cette pauvre bête lui venait soudain. Alors, elle ne bougea pas, retenant son souffle.

— Il sait ce qui l'attend, on dirait, déclara von Falkenstein en soulevant le lapin à hauteur de torse.

Bien que ses pattes ne touchassent plus rien, celui-ci essayait tout de même de s'enfuir. Ses flancs palpitaient à cause de son minuscule cœur qui battait fort. Ania se désola en songeant que le sien ne devait pas être bien plus gros. Exaspéré de sentir l'animal se débattre et ruer dans son poing et le tenant toujours par les oreilles, von Falkenstein l'abattit brutalement sur la table comme s'il s'agissait d'une cravache. Le bruit sourd, écœurant, de cette petite masse de chair qui percuta la table lui arracha un cri dégoûté et elle ne fut pas la seule.

— Hans ! se scandalisa Bruno.

Pendant quelques secondes, Ania se demanda à qui il s'adressait. Elle en avait oublié que von Falkenstein avait un prénom, tout comme elle.

Wie ? s'enquit-il en lâchant le lapin.

Celui-ci avait survécu mais toute envie de s'échapper l'avait quitté. Les yeux mi-clos, il se contenta de rester allongé sur le dos, la gueule entrouverte sur ses dents jaunâtres, la respiration aussi erratique que celle d'Ania.

— Voilà comment il faut faire si jamais tu veux le cuire ensuite, dit-il en reportant son attention sur elle. Mais c'est quand même plus facile avec les poulets. Regarde, il est même pas mort.

Ça, Ania le voyait bien et elle aurait tout donné pour effacer cette image de son esprit, tout comme le bruit que le lapin avait fait alors qu'il l'envoyait s'écraser contre le pupitre.

— Et maintenant, tu n'as qu'à le balancer contre le mur. C'est quand même moins lourd que Jensen ou Zallmann, ajouta-t-il. Tu devrais y arriver sans trop d'efforts.

Ania se mordit la lèvre.

— Alors, qu'est-ce que t'attends ? Envoie-le contre le mur, sinon je m'en charge et c'est toi qui vas remplacer le lapin.

Il lui colla une pichenette à l'arrière du crâne avec deux doigts et Ania sursauta. Elle avait tellement peur de ce que von Falkenstein pouvait lui infliger. Elle savait qu'il n'hésiterait pas à la cogner jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse, même devant eux, même devant Nina. Tout comme en Pologne, personne ne lui viendrait en aide ; personne n'avait protesté là-bas, personne n'était intervenu alors, que bien plus tard, il la giflait dans la salle contenant le résidu pourri de l'œil-dieu dans sa cuve. Oh, Nina avait râlé, bien sûr et ça s'était arrêté là ; il avait raison, au final, l'amitié, il ne fallait pas trop y compter, surtout ici – ce n'était pas grave, elle l'aimait bien quand même, Nina – après, elle lui avait mis de la glace sur sa bouche enflée et ça avait suffi pour qu'elle arrête de lui en vouloir. Quand von Falkenstein était là, elle était seule et il lui fallait donc obéir.

Elle chassa l'ombre de Nina et prit celle de Bruno, de loin l'une des plus imposantes et atroces qu'elle connaissait. Elle la terrifiait presque autant que celle du lieutenant Jensen. C'était une horreur tassée sur elle-même, dépourvue de tête ; un enchevêtrement de membres disparates et épais, se déplaçant d'une démarche pesante, peinant à décoller son propre poids. Une enfilade d'yeux perlés s'ouvrait au milieu de ce nœud ignoble, fixant le vide sans ciller, malade, perdu – elle évita de le laisser trop s'approcher, même si cette ombre obèse ne pouvait pas grand-chose contre elle. Ça n'avait rien à faire ici, ça n'appartenait pas à ce sol et pourtant, ça s'y déplaçait comme un jouet détraqué ; sa place était avec la voix de la fosse, tout au fond, pas à la surface du monde. Mais ce monde et la fosse s'étaient mélangés, devenant un charnier à ciel ouvert, Ania l'avait bien vu, en Pologne. On y enterrait même des enfants. Si elle avait seulement quelques années de moins, elle y aurait fini, elle aussi.

— Qu'est-ce qui te prend aussi longtemps ? cracha von Falkenstein, qui commençait à s'impatienter dangereusement.

Ania tenta d'oublier que le lapin respirait encore. Sentant sa précipitation, l'ombre se déplaça lourdement et plongea un moignon cassé et maladroit dans la carcasse étendue devant elle. Tressautant sous l'impulsion invisible, le lapin s'envola avec force et percuta le tableau caché par un drap. L'impact fit glisser le tissu en même temps que le corps ramolli, le cachant de sa vue et cela la soulagea. En-dessous de cette mince couverture, ses pattes tressautaient encore, moulinant dans le vide. Plus personne ne parlait.

— Ah, raté, constata von Falkenstein. Il est pas encore tout à fait mort.

Il posa à nouveau la main sur son épaule et Ania lutta pour ne pas se dérober.

— Recommence.

Elle se sentit défaillir. Même avec le drap, elle ne voulait plus toucher à la malheureuse créature qu'il l'obligeait à torturer. Aussi lourde que si elle eut été lestée de plomb, la deuxième ombre tituba dans cette direction. Dans un froissement de tissu qui se détachait, le lapin rebondit encore une fois, contre le mur près de Nina, cette fois-ci – elle se dépêcha de reculer – puis s'écrasa au sol. Il continua de bouger.

Von Falkenstein soupira de déception. Elle sentit ses longs doigts se crisper sur son épaule avec l'implacabilité d'une tenaille de sécateur.

— Recommence, répéta-t-il en la secouant un peu.

Une tension étrange lui déformait la voix, la rendant encore plus lente que d'habitude. En l'entendant, Ania sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale et celui-ci n'avait rien à voir avec la terreur ou la crainte. Au contraire, c'était plutôt quelque chose de si agréable qu'elle s'en effraya aussitôt.

L'ombre le perçut, elle aussi. Elle brandit le lapin le plus haut possible et Bruno et Krauss ne purent s'empêcher de pousser une exclamation éberluée en chœur. Dans une série de craquements nauséeux, immondes, le reflet disloqua le petit corps encore tremblant, en déchirant des lambeaux entiers. Retourné de l'intérieur comme un gant, l'animal en fut réduit à une bouillie d'esquilles d'os, de filaments et de restes de cervelle. Cette marmelade rougeâtre s'écrasa mollement au sol, suivie des serpentins de peau piquée de fourrure. Une flaque pourpre commença à naître tout autour.

Nina éructa bruyamment et se mit à tousser. Derrière ses lunettes pleines de traces de doigts, Bruno se plaqua une main sur la bouche, aussi pâle que la lumière extérieure. Ce fut l'air rebuté de Krauss qui emplit le plus Ania d'un triomphe malsain. Ainsi, elle pouvait leur faire peur, elle aussi. Ils l'avaient bien cherché. Avec un peu de chance, elle ne recevrait plus de coups et ils ne la contraindraient plus à recommencer. Si elle parvenait à les terrifier de la sorte, von Falkenstein allait probablement la laisser tranquille pour de bon. Surmontant sa crainte, elle leva enfin la tête pour s'en assurer.

Elle se maudit de s'être trompée. Se traita d'idiote. La colère lui tordit l'estomac et elle eut envie d'envoyer valdinguer la table droit devant elle. Car, à l'inverse de tous les autres, il n'était ni apeuré, ni choqué devant le petit tas de viande sanglante qui, il y a quelques minutes à peine, s'agitait à l'intérieur de son poing clos. Au contraire, il arborait un grand sourire, celui, chaleureux et émerveillé qu'elle lui surprenait parfois quand elle disait une énormité qu'il jugeait particulièrement cocasse.

— Incroyable, la félicita-t-il en souriant de plus belle.

Sa main quitta son épaule pour venir lui caresser les cheveux. Cette tendresse lui sembla plus ignoble encore que les menaces, car elle remuait quelque chose en elle, quelque chose d'encore plus sombre que la terreur ou la faim, ou même la fosse de goudron. Ce fut cela, bien plus que le reste, qui la fit hurler d'effroi et de rage. Mue par une volonté féroce, sa main attrapa l'opinel abandonné sur la table. Dans un geste dont l'amplitude envoya valser la casquette à tête de mort posée tout près, elle lui planta le coupe-papier en plein dans la cuisse.

— Me touchez pas, putain de schwein ! vociféra-t-elle sans lâcher le manche de la lame.

Abasourdi, à la fois par la douleur et la consternation, von Falkenstein vacilla.

Il eut tout de même le réflexe de lui écarter brusquement la main tandis qu'elle tirait à nouveau, dans l'espoir de reprendre son arme improvisée et de s'en servir encore. Elle entendit quelqu'un beugler à son tour – Krauss, Nina ou Bruno, elle ne savait pas et elle s'en fichait. Une silhouette sombre se leva brutalement et elle crut à une ombre.

— Merde, souffla von Falkenstein en se débarrassant de l'opinel, qui tomba au sol après avoir rebondi sur une de ses bottes. T'as fait quoi, là ?

Malgré la main qu'il plaquait sur l'extérieur de sa cuisse, le sang bouillonnait entre ses doigts tremblants.

— Est-ce que ça fait mal ? s'enquit Ania avec toute la hargne dont elle était capable. Une fois par mois ?

— Espèce de...

Il était près de tourner de l'œil, elle l'entendait à sa voix. De son bras libre, il s'appuya au pupitre pour ne pas basculer en avant. Ania crut avoir gagné jusqu'à ce qu'avec un feulement, il ne l'attrape par les cheveux d'une poigne vicieuse.

Se mordant la langue sous le choc, elle heurta du front la table devant elle. Le sang gicla dans sa bouche, brûlant et métallique. Elle ne comprit rien de ce qu'il lui crachait au visage alors qu'il recommençait, encore et encore, jusqu'à lui ouvrir l'arcade. Des tâches lumineuses flottaient devant ses yeux. Un liquide tiédasse, horrible, suppurait à l'intérieur de son nez, se déversant jusqu'à son palais. Elle eut l'impression que d'autres se pressaient autour d'elle, hurlant et piétinant dans la confusion.

— Plus jamais, siffla von Falkenstein en la lâchant enfin. Plus jamais, sinon je te crève. T'as bien compris ?

D'un habile croche-patte de sa jambe qui n'était pas blessée, il cogna les pieds de sa chaise, la faisant tomber et entraînée, Ania s'écroula, sonnée et le visage en feu. Alors qu'il envoyait la table au loin dans un fracas de bois et de métal pour évacuer ce qui lui restait de rage, elle gémit et expectora le long filet bordeaux qui lui obstruait la bouche.

— Est-ce que t'as bien compris ? répéta-t-il, à moitié plié en deux et le souffle court, compressant sa jambe à l'aide de ses deux mains.

Elle entendit le hurlement outré de Krauss alors que, dans un son infâme, il lui crachait dessus. Ania avait bien compris, mais elle n'eut pas les forces de répondre. 

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