21 Anneliese

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Mon amour, je suis fier de t'annoncer que j'ai passé quatre heures à prier devant l'urinoir et que Dieu m'a entendu, claironna Olrik en déboulant dans le minuscule réduit de la cuisine.

Elle fut tentée de l'applaudir et se retint, car le docteur Hoffmann se trouvait dans la même pièce. Il était encore secoué par la crise de démence de l'autre amateur de douche à la pisse. Le quart d'heure qu'elle venait de passer à lui tapoter l'épaule et à lui servir des doigts de schnaps pour essayer de le calmer lui avait ôté toute envie de plaisanter, alors quand Olrik lui ouvrit les bras, encore pâle et fatigué, elle se contenta de lui tapoter le torse et de l'embrasser rapidement avant de se rasseoir. Il fit tout de même le tour de la cuisine d'un pas triomphant avant de se poster dans l'encadrement.

— Bravo, liebchen, dit Hoffmann d'un ton d'outre-tombe. Vous avez évité la Pervitine, ce matin, ainsi que les coups de fusil du taré en chef.

— Qu'est-ce qu'il a fait, encore, ce ravagé d'autrichien ? s'exclama-t-il. Que j'aille lui rebalancer une bière dans la figure !

— Pas ce taré là, expliqua Anneliese. Vogt.

— Quand c'est pas l'un, c'est l'autre, grogna Olrik en s'adossant au chambranle. Tu parles d'une institution respectable.

— Sur la terrasse, reprit Hoffmann. Avec une putain de carabine. C'est un cas de folie clinique. J'espère que ce n'était que passager.

— Demandez son avis à la psychiatre, docteur, rétorqua-t-il.

Hoffmann repoussa son café arrangé.

— Heureusement que j'ai été mobilisé, dit-il. Au moins là-bas, je saurais que c'est les français qui me tirent dessus et pas mon propre commandant.

Sa déclaration sortie de nulle part jeta un sacré froid. Anneliese en oublia ses préoccupations quant à la nuisance en uniforme noir qui lui servait de médecin en chef et ses sermons sur le Véronal. Elle appréciait énormément Hoffmann, tout comme le reste du personnel du dispensaire. Discret et aux manières vieillottes, il avait d'excellentes références, qu'elles soient médicales ou plus générales. Le vice de la boisson avait enfermé son érudition dans une regrettable cage dont il entrouvrait parfois la grille, la gratifiant d'anecdotes ou de souvenirs de lecture qui laissaient deviner un homme habitué à l'excellence et qui se retrouvait à décuver tous les matins. Mince, elle l'appréciait presqu'autant qu'Olrik, bien que ce fut d'une manière tout à fait différente.

— Comment ça, mobilisé ? s'étonnait d'ailleurs ce dernier. Ça n'a aucun sens. Liese, qu'est-ce que tu as mis dans son verre ? Il est en train de nous faire une décérébration sévère, là, ce n'est pas possible. Si vous commencez à halluciner, docteur, il faut nous le dire. Il s'agit d'une urgence neurologique absolue.

— Arrête de parler, trou du cul, le coupa Hoffmann sans colère. Ce que vous êtes bavards, l'autre et toi, purée ! Pia-pia en permanence. Je croirais entendre le canard.

— Vraiment de mauvais poil, dit Olrik. Alors que c'est moi qui ai dû pisser un putain de calcul pendant quatre heures.

— Qu'on lui donne une médaille, à l'homme ayant vaincu la lithiase, marmonna Anneliese.

Il salua son commentaire d'un sifflement approbateur et reprit tout à coup son sérieux.

— Mobilisé, vraiment ? demanda-t-il.

Hoffmann se massait la nuque, le regard perdu dans le vague.

— Oui, vraiment, répondit-il après un silence. J'ai reçu l'ordre hier. Je pars dans quinze jours. Il faudra que je pense à aller remercier le responsable dès qu'il daignera revenir sur son lieu d'exercice.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant