7 Nina

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Elle se maudissait d'avoir mangé. Malgré le camphre généreusement étalé sous ses narines, la corruption fétide planant dans le lazaret réussissait à l'atteindre. Elle n'oublierait jamais cette odeur. Douce-amère, presque lancinante, poisseuse. Elle s'efforça de respirer par la bouche, mais ce fut pire : l'infection se planta dans son palais, y rependant un goût d'ordure sucrée, écœurante. Non loin, von Falkenstein plissait lui aussi du nez, mais elle n'aurait su dire si c'était à cause de ce qu'il sentait, car il avait l'air dégoûté en permanence par tout ce qui l'entourait. Pourvu qu'il fasse vite. Elle espérait qu'en dehors de son attitude méprisante et inflexible, il était au moins un médecin capable. Dans le couloir, Locke et Gebbert les observaient à bonne distance, échangeant des commentaires à voix basse à propos de la grosse caisse rectangulaire disposée sur le plateau en acier.

— Fermez la porte, dit von Falkenstein en le remarquant. Je déteste qu'on me regarde travailler.

Nina n'en fit rien, peu rassurée à l'idée de se retrouver dans un oppressant huis-clos.

— Mais vous ne faites jamais de démonstrations à des étudiants ?

— Pas quand j'ai le choix. Fermez la porte. Aussi, je déteste me répéter.

Leur répondre était dangereux, se souvint-elle. Il ne l'avait déjà pas à la bonne. Ce n'était pas la peine d'aggraver son cas. Alors elle s'écrasa et obéit. Au moment où elle tendait la main pour refermer la porte percée d'une vitre trouble, ce fut Bruno qui l'arrêta.

— Je viens aussi, dit-il en brandissant son lourd Leica. Mais par contre, va me falloir un truc contre... oh Seigneur, ce que ça pue !

Nina le remercia d'un hochement de tête. Se bouchant le nez, Bruno se dépêcha de s'emparer de la boîte que lui tendait négligemment von Falkenstein.

— Mais comment vous faites ? demanda Bruno après s'être mis du baume plein la barbe.

— J'ai besoin d'une blouse, d'un tablier et d'une trousse de chirurgie, dit von Falkenstein sans lui répondre. Vous pouvez garder le baume.

— Merci. Ça doit être dans les placards, hasarda Bruno.

Nina ne prit pas la peine de les épauler dans leurs recherches, se doutant que von Falkenstein l'aurait vu d'un mauvais œil. Préparant son carnet et son crayon gris, elle alla se poster dans le coin le plus éloigné du cercueil, près de la fenêtre, qu'elle finit par entrouvrir à la recherche du moindre filet d'air. Inspirer la froideur extérieure dispersa la plus grande partie de son malaise. Elle entrebâilla toutes les vitres à sa portée.

Von Falkenstein était en train d'enfiler une blouse blanche tout droit sortie d'un paquetage de dotation et quand il eut terminé, Bruno lui passa un large tablier en caoutchouc qu'il laça dans son dos avant de se débarrasser de son képi. Entre les bottes d'équitation, la camisole de bloc, le tablier noir et les gants lui arrivant jusqu'aux coudes, il avait une allure cauchemardesque de boucher.

— Mettez un masque, dit-il à Bruno. Pour les projections.

— Quelles projections ? répondit celui-ci, serrant son appareil photo à s'en faire pâlir les phalanges.

— Faites ce que je vous dis, c'est tout, trancha von Falkenstein avant de mettre sa calotte.

Masque en tissu stérilisé sous le menton, il tira sur sa cigarette. Se mêlant à la puanteur omniprésente, la fumée âcre fit tousser Bruno, qui s'empressa de se détourner. Indifférent à leur malaise, von Falkenstein étala une trousse d'instruments en cuir sur la surface irrégulière du cercueil. Sous la lampe sans ombre portée, ses yeux paraissaient presque blancs.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant