3 Hans

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Ce matin-là, il essayait tant bien que mal de se remettre d'une de ses horribles nuits blanches que connaissait parfois le Marienhospital. La cause en était cette fois-ci un stupide accident ferroviaire. Un train privé de freins en pleine heure de pointe avait déraillé juste avant son entrée en gare. Comment ce genre d'incident pouvait-il encore se produire en dépit de la modernité du chemin de fer allemand demeurait un mystère. Certains évoquaient le sabotage. Sans avoir le temps de se forger un avis, il avait été mobilisé jour et nuit durant pour plusieurs opérations d'importance vitale sur des passagers hurlants, ce qui lui avait rappelé le front à une moindre échelle. Avec la paranoïa ambiante, l'hôpital se mit rapidement à grouiller d'envoyés extérieurs, d'enquêteurs de tout poil et de tous galons, représentant à peu près l'intégralité des services existants, de la Kripo jusqu'aux mandatés spéciaux de la Reichsbahn. 

Ceux-ci le laissèrent heureusement en paix : avec ses mains plongées dans le sang et les fractures ouvertes, le tri aux admissions et tout le reste, il avait d'autres préoccupations que celle de répondre à leurs questions. Le service des situations vitales aux portes de l'hôpital étant complètement dépassé par l'afflux soudain, on dut mobiliser en catastrophe des généralistes civils et lorsque ce ne fut pas suffisant, on se décida même à recourir aux Sœurs de Saint-Vincent, pourtant peu formées à la médecine de bloc et ce, au plus grand bonheur d'Anneliese DeWitt. Organisée, peu sujette à la panique bien qu'elle soit débordée comme tout le monde à ce moment-là, elle lui fut d'ailleurs d'un précieux secours à de nombreuses reprises. Avec une formation adéquate, elle ferait une auxiliaire de santé tout à fait admirable – il se promit d'en discuter plus sérieusement avec l'Untersturmführer Siegler dès qu'il en aurait l'occasion.

Il sut qu'un évènement autrement plus dramatique qu'un banal carambolage meurtrier venait de se produire lorsque le Sturmbannführer Meyer débarqua en personne dans son modeste bureau. Meyer n'agissait jamais ainsi. En général, il se contentait de lui faire porter une note de service. Il le surprit col et blouse sale défaits, tentant de chasser l'ivresse de la fatigue en ingurgitant le contenu d'une timbale qu'on lui avait vendu comme du café de première qualité et qui n'était au final qu'un ignoble ersatz employé par la Wehrmacht. Le voyant faire irruption sans frapper, il grimaça de lassitude et envoya le reste de sa boisson valser par la fenêtre, où, de toute évidence, elle éclaboussa la tête de quelqu'un s'il en jugeait les vociférations indignées qui éclatèrent aussitôt. Il s'empressa de claquer les vantaux pour ne plus les entendre.

— Herr SS-Sturm... fit-il mine de commencer mais, tout aussi éprouvé que lui par les dernières heures, Meyer chassa les politesses d'usage en levant les yeux au ciel.

— Vous venez m'annoncer que ma solde est augmentée ? ajouta-t-il tout en se laissant tomber sur le siège visiteur, car les jambes le tiraient depuis plusieurs heures.

Meyer le gratifia d'un air totalement absent, ce qu'il lui pardonna. Après tout, lui aussi avait eu fort à faire ces dernières quarante-huit heures – il semblait avoir à peine dormi et son uniforme était tout chiffonné.

— Non, répondit-il enfin en refermant la porte d'une poussée négligente. On vient de retrouver votre copain pendu dans les douches du bâtiment E. Je tenais à vous en informer en personne.

— Quel copain ? dit-il en se massant les paupières d'une main vaseuse. Vous pouvez répéter ce que vous venez de dire ?

— Votre ami, réitéra Meyer en venant s'asseoir sur la chaise en face de lui. Son nom, déjà ? Zallmann. On vient de le découvrir complètement bleu, avec un nœud autour du cou dans les sanitaires. Je suis désolé.

Il lui fallut un certain temps avant de comprendre l'énormité de la révélation. Le manque de sommeil, l'anxiété induite par le surmenage, les erreurs de diagnostic qu'il avait immanquablement commis dans la précipitation, tout cela lui donnait l'effet de surnager à la surface d'une mer déchaînée par-delà laquelle la voix de Meyer n'était qu'un lointain écho.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant