7 Wolff

35 7 32
                                    


Il savait qu'il était fini. 

La SS n'avait que faire des soldats tels que lui. Désobéir à un ordre d'un supérieur direct, même des services sanitaires, équivalait à une suspension en bonne et due forme. Il s'était toujours cru endurci, à cause de ses nombreuses frasques dans les brasseries et plus tôt encore, quand, à peine dix-neuf ans, il avait fini à la maison d'arrêt pour s'être défendu au couteau dans une bagarre. Il n'avait jamais donné la mort. Au moment de presser la détente, il n'avait pas pu. Même s'il l'avait véritablement voulu, il ne l'aurait pas fait. Il ne possédait pas la détermination nécessaire. Il manquait de détachement. Pointer son arme sur cette femme dont il avait déjà oublié le nom lui avait paru indécent, contre-nature. Les Kupchenko n'avaient rien fait. Le seul tort qu'ils avaient commis était de contrarier la diva hystérique qui lui servait d'officier commandant. Ils ne méritaient pas qu'on leur loge du neuf millimètre dans les os, Wolff en était persuadé. Peut-être était-ce la faute à son sens moral. Après tout, il avait grandi dans un orphelinat catholique, où on lui avait appris à ne pas jurer et être bienveillant avec son prochain. Assister à cette série d'exécutions sommaires lui avait tant retourné l'estomac qu'il avait tout rendu contre le mur. L'après l'avait laissé pantelant et essoufflé, si bien qu'il resta assis un moment, écoutant von Falkenstein se défouler sur la ferraille trouée du tonneau à eau vide. D'après Wolff, il avait un sérieux problème de gestion de la colère. Des hommes comme lui ne faisaient pas non plus long feu dans l'armée, à son humble avis, mais il était sûrement mal placé pour en juger ; lui avait bien été incapable de tirer à bout touchant sur des civils désarmés et larmoyants.

— Vous devriez vraiment devenir plus coriace, lieutenant, lui dit von Falkenstein après s'être calmé. Si vos nerfs vous lâchent à la moindre anicroche, vous pouvez dire adieu à la Liebstandarte.

Wolff ne put s'empêcher d'éclater d'un rire jaune. Venant de la part de quelqu'un qui venait d'abattre trois personnes par pure contrariété, la remarque lui paraissait d'une horripilante ironie. La raison de son hilarité lui apparut soudain dans toute sa glaciale réalité et il hoqueta, sentant l'écœurement revenir.

— Vous allez rédiger un rapport, de toute manière, répondit-il après avoir ravalé sa bile. Alors pour ce que ça peut me foutre. Sauf votre respect, bien sûr, Herr SS-Hauptsturmführer.

Trop occupé à fouiller la terre granuleuse autour des corps à grands coups de bottes, von Falkenstein garda le silence. Il parvint à retrouver deux douilles, qu'il glissa dans une de ses poches de poitrine. Consciencieux, il cherchait à effacer ses traces.

— Je ferais rien du tout si vous la fermez sur cet incident, dit-il en ramassant la troisième et dernière douille. Et sur cette gamine. Si vous maintenez ma version, vous pourrez retourner cuver dans votre caserne en toute tranquillité.

— Quelle version ? s'enquit Wolff, troublé.

— Dysenterie. Tuberculose. Choléra. Je sais pas, j'ai pas encore décidé, répondit von Falkenstein avec un calme marmoréen.

Cette quiétude contrastait si fort avec le déchainement caractériel auquel Wolff venait d'assister qu'il se demanda bêtement s'il s'agissait de la même personne. Il savait qu'il aurait dû se lever, mais il n'en avait pas les forces.

— Pourquoi vous ne voulez pas qu'ils sachent ?

— Je déteste la paperasse, dit von Falkenstein. Tout comme rédiger les rapports disciplinaires.

Wolff se gratta la nuque. Il ne pouvait certes pas exécuter un ordre simple, mais il pouvait toujours mentir si cela lui garantissait l'absence de tout avertissement. Tout de même, il avait beau ne pas être très futé, quelque chose dans la proposition de von Falkenstein le gênait et il n'arrivait pas à déterminer quoi.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant