11 von Falkenstein

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Cela lui en coûtait de le reconnaître, mais Zallmann avait beau être un traître rouge, il avait de la ressource et un esprit d'organisation certain. Sous ses airs d'universitaire tranquille se cachait en fait un commandant qui ne paniquait pas facilement. Après avoir fait boucler l'infirmerie, Zallmann s'était attelé à employer du mieux qu'il pouvait Kristof Locke et ses soldats afin de vider la cave de ces maudits cercueils.

L'arrivée d'une escouade du génie, détachée de la 6e Panzerdivision leur fut également d'un grand secours. Plus de bras pour creuser la fosse derrière l'enceinte de l'Institut. Les bidasses de la Wehrmacht obéirent sans discuter. Après tout, avec le lieutenant Jensen et le sergent Lutz, ils étaient trois SS sur les lieux. Lui ne toucha ni à la pelle ni aux cercueils, préférant se poster en marge de l'agitation, une sempiternelle cigarette entre les doigts.

— Le seul point positif d'aujourd'hui, c'est que nous allons avoir de l'eau chaude, commenta Zallmann en venant contempler l'avancée des travaux. Dès qu'ils auront terminé, ils iront nous bricoler notre chaufferie, et je trouve ça merveilleux.

Il n'était pas loin de dix heures et la fosse atteignait déjà un bon mètre cinquante de profondeur. Jensen ne rechignait pas à la tâche, maniant tout aussi bien la pelle qu'une voix autoritaire pour diriger tout ce petit monde transpirant à casser de la caillasse. Plus loin, le sergent Lutz manœuvrait le gros camion à nouveau rempli sous les directives inquiètes du caporal Locke. Excités par l'odeur de la mort, les chiens vociféraient dans leur chenil, leurs jappements étouffés par la distance et les arbres.

— Tant mieux, dit von Falkenstein. Au moins je pourrais repartir d'ici après une douche digne de ce nom.

Zallmann dégoupilla une petite flasque qu'il gardait en permanence dans son manteau. L'odeur du cognac le frappa en plein fouet et il plissa du nez. Zallmann était un alcoolique qui se niait, attribuant sa couperose et son embonpoint au confort sédentaire plutôt qu'à l'abus de vinasse.

— Vous n'allez pas attendre le docteur Krauss ? s'étonna-t-il tout en paraissant soulagé de l'apprendre. Ils vont rien vous dire, à la Kommendatur ?

— Krauss peut aller se faire foutre, répondit von Falkenstein. Et la Kommendatur aussi. Je veux plus jamais entendre parler de vous ou de votre Institut de fous furieux. J'espère qu'ils ont remis la Mercedes en état, parce que je me casse ce soir.

Zallmann haussa des épaules. Comme ils n'avaient pas grand-chose à se dire, ils se contentèrent de se côtoyer en silence tandis que la tranchée s'approfondissait au fil des minutes.

Quand Jensen la jugea satisfaisante, il interrompit l'œuvre et les pelles furent jetées en vrac contre les gravats. Lui aussi était un bon meneur. On lui obéissait sans discuter. S'il avait nourri des ambitions de commandement, von Falkenstein aurait presque pu se trouver envieux de la facilité avec laquelle il arrivait à diriger. Lui n'était pas fait pour être sur le terrain, sous le feu et il en était conscient. Non pas qu'il manquât de volonté, d'entraînement ou de courage pour cela. Seulement, il n'inspirait pas la sympathie nécessaire. Il savait que l'autorité conférée par le grade ou l'attitude ne suffisait pas. Il avait tous les adages d'un de ces officiers tyranniques, à la voix cassée à force de hurler, auxquels les bidasses n'obéissaient qu'en grimaçant. Ce genre de gradés, honnis et méprisés par leurs troupes, n'obtenaient jamais rien de bon sur le champ de bataille. Il était trop critique. Et, surtout, il ouvrait beaucoup trop sa bouche, alors il ne dépasserait jamais le grade de capitaine. Le corps médical lui était tout indiqué. Les services sanitaires laissaient un champ plus libre aux égos boursouflés car leur fonction était littéralement vitale.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant