4 Hans

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Ce ne fut pas aussi spectaculaire qu'il l'avait imaginé. La réalité était en général bien plus décevante que l'idée qu'on s'en faisait. C'est à peine si le gros corps tressauta. Il se tendit plutôt, en proie à une paralysie momentanée, avant que les muscles ne se relâchent en même temps que l'intensité du courant électrique. C'était Dahlke qui tenait les électrodes tandis que Laurentz tournait la molette du sismothère. Lui ne faisait qu'observer. Tension. Relâchement. Tension. Ainsi de suite. Rien de bien intéressant à regarder, à part ses dents qui s'enfonçaient dans le bâillon à s'en faire trembler les maxillaires.

— Elle va se démettre la mâchoire, constata-t-il.

— Merde, dit Laurentz en arrêtant aussitôt.

Il retira ses doigts gantés de l'appareil pour se pencher sur Muller et ses problèmes de mordant.

— Ça va encore, reprit-il après avoir effectué une palpation rapide. Mais il serait avisé de descendre d'un cran si on veut pas que ça pète.

— C'est vous le spécialiste, répondit Hans. J'y connais rien en tension maxillaire.

— Ça la fout mal pour un chirurgien militaire, dit Laurentz.

— C'est qu'en général, quand ils n'ont plus de mâchoire, il manque aussi la partie au-dessus.

— Vu comme ça.

Il en revint à son sismothère. En-dessous de son masque, il vit Dahlke retenir une grimace. D'eux trois, c'était lui qui était au plus près de Muller et son épais bandeau de tissu stérilisé.

— Quoi ? lui demanda Hans.

— Rien. C'est juste que, merde, ça sent la couenne, répondit-il.

— Vous lui mettrez de la pommade, dit Laurentz. Avec un peu de chance, ça ne sera qu'une petite cicatrice.

— Et si c'est une grosse, vous irez vous expliquer avec l'Obersturmbannführer Vogt, lâcha Dahlke. Je vous préviens, il est plutôt de mauvaise humeur depuis qu'il ne lui reste plus que la moitié d'une rotule.

Tout près de Dahlke, il y avait une quatrième présence qu'il évitait soigneusement de fixer pendant trop longtemps. Accrochée au montant supérieur du lit médicalisé, la monstrueuse apparition se penchait vers le crâne grillé de Muller, se dissolvant à moitié dans l'air, liquide et gazeuse et elle pleurait. Elle pleurait en silence, essayant de l'atteindre de ses serres et sa poitrine inhumaine se soulevait d'une douleur innommable.

Il avait presque envie d'aller la réveiller à nouveau pour l'amener en bas et la lui montrer. C'est un vourdalak, lui dirait-elle sûrement, aussi sereine que s'il s'agissait de ce putain de chat noir. Ce n'est pas méchant.

— Je peux savoir ce que vous regardez comme ça ? lui demanda sèchement Laurentz.

De toute évidence, il en avait terminé. Il était en train de retirer ses gants dans une mince nuée de talc. Il détourna les yeux du spectre et du coin de l'œil, il le vit s'enfoncer dans le mur pour y disparaître. Ç'avait duré moins de dix minutes.

— J'ai un début de migraine, répondit-il. C'est héréditaire.

— Oui, je m'en doutais, vu les yeux que vous avez, dit Laurentz. Voilà. C'est fini pour ce soir. Les effets devraient être immédiats. Mais je conseille deux ou trois séances supplémentaires, pour renforcer l'efficacité.

Il leur tourna le dos afin de remballer son sismothère, en détachant soigneusement le fatras de fils.

— J'en parlerais à l'Obersturmbannführer Vogt. La décision lui reviendra, dit Hans.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant