15 Hans

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À treize-heures tapantes, il se présenta sur le parvis de l'hôpital en compagnie de deux autres médecins de la SS, y compris celui dont le métacarpe avait autrefois fait la rencontre inopinée d'une curette chirurgicale aiguisée. Depuis cette sombre histoire, l'intéressé le qualifiait poliment de « taré de tchécoslovaque » ; jamais en plein visage, évidemment, sous peine de quoi il se serait expressément chargé de lui agrandir l'écart entre ses incisives, qu'il avait déjà fort proéminent. Près de lui se tenait la Sœur DeWitt, la seule femme de cette austère assemblée en uniforme noir ou vert de gris ; il la connaissait de loin, bien qu'il n'ait appris son nom que récemment. Une de ses ambitieuses qui avait réussi à se faufiler dans les antichambres stériles, sous les lumières, en se rendant indispensables et appliquées. Toujours à coller les médecins dans l'espoir de grapiller des astuces ou un apprentissage à peu de frais ; la Croix Rouge en était remplie, et l'armée s'était servie dans ce vivier d'auxiliaires.

Il ne partageait que peu ce sentiment de charité chrétienne qu'elles portaient toutes en elles ; Dieu ou pas, leur place n'était pas au front, dans les postes d'arrière-garde avec les blessés au pire et au mieux, dans les maternités, les infirmeries scolaires ou les Lebensborn. Mais ici, il avait une réputation conservatrice, même pour un chargé d'hygiène raciale et il savait que la plupart de ses collègues, moins à cheval sur les principes, toléraient ces femmes quand ils ne fraternisaient pas avec. Celles qui avaient un jour partagé son bloc étaient parfois aussi minutieuses et silencieuses que n'importe lequel de leur équivalent masculin, alors il n'avait jamais réellement fait de vagues à ce sujet – après tout, elles ne se baladaient pas non plus en pantalon comme cette affreuse harpie de Muller.

Il se retrouva coincé sur le siège passager de sa propre Mercedes, dont il dut céder le volant à l'attaché du SS-Standartenführer Hanke, celui qui lui avait remis la convocation ce matin-même. La Sœur DeWitt et son mentor du moment s'installèrent à l'arrière, non sans mal et non sans se plaindre du manque de place.

— Sturmbannführer Meyer, est-ce qu'on pourrait décapoter ? suggéra-t-elle poliment. Il y a un beau soleil.

— Ça ne dérange personne ? demanda Meyer.

— Ne touchez pas à la capote, dit-il. Elle est foutue depuis que j'ai embouti un portail en fer forgé.

— Un portail, vraiment ? s'enquit Meyer en démarrant.

— Une très longue histoire que je n'ai pas envie de raconter, coupa-t-il.

L'autre médecin installé sur la banquette arrière garda un silence froid durant plus de la moitié du trajet. Il ne le supportait que mal et c'était réciproque. Il était rare qu'il s'entende parfaitement avec quelqu'un ; de son souvenir, ce n'était encore jamais arrivé – mais il était également exceptionnel qu'il nourrisse une rancune aussi tenace que celle-ci. Une animosité banale qui avait tendance à dériver en ressentiment haineux selon les circonstances. Il ignorait comment cela avait pu débuter. Peut-être parce que ce Siegler était aux antipodes de son spectre : studieux, extrêmement scolaire, acharné sans pour autant parvenir à devenir brillant. Lui ne faisait jamais de vagues, n'avait jamais un mot plus haut que l'autre. Très bien vu de la hiérarchie, contrairement à lui, qui s'était taillé une solide réputation d'emmerdeur. Il avait épousé une blonde quelconque dénommée Irene, échouant à fournir son certificat d'aryanité, ce qui constituait au mieux une faute et au pire une trahison. Peut-être était-ce pour cela qu'il nourrissait une obsession pour tout ce qui constituait la germanité parfaite, passant des heures et des heures à établir des critères précis au millimètre. Même au sein du Bureau de la Race, cette passion glaciale qu'il vouait aux mesures, à la gémellité et aux détails insignifiants tirait des moues sceptiques. De son avis, ce genre de médecin ne donnerait jamais rien de bon.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant