18 Hans

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Il avait peut-être sous-estimé la gravité de ce qui arrivait à Dahlke. En plus du citrate de potassium, il fallut lui administrer un calmant qui le plongea dans une apathie bienvenue. Il ne s'agita guère quand, sur un ton à moitié ironique, il lui signala qu'on pouvait tout à fait survivre avec un seul rein à condition d'arrêter définitivement l'alcool.

Cela dit, l'alcool n'était pas le problème, pour une fois. Il le soupçonnait en grande partie de somatiser. Quand l'esprit se retrouvait dans une impasse, le corps manifestait sa désapprobation avec violence. Il espérait que sa permission prochaine auprès de Renate lui remettrait les idées en place plus efficacement que n'importe quel sermon. Il allait négocier une semaine supplémentaire auprès de Vogt et il l'enverrait à Stuttgart avec DeWitt pour qu'il change d'air au lieu de le harceler. C'était la seule solution qu'il avait réussi à trouver et il craignait que cela ne suffise pas. Le comportement de Dahlke entamait une lente dérive vers l'insubordination, tout comme Hoffmann. Il était en colère contre lui, plus longtemps et avec plus de ténacité que d'habitude et ça n'avait aucun rapport avec sa sieste improvisée ou même ses manières excentriques dans le bloc opératoire en Pologne.

DeWitt y était pour beaucoup. Malgré les apparences, elle n'avait jamais réellement respecté les institutions et passait son temps à marmonner sous cape d'un ton critique. C'était une dissidente dans l'âme qui se permettait nombre de comportements inacceptables. Mais elle était aussi spirituelle et raisonnablement intelligente en plus d'être plantureuse, et c'était suffisant pour que Dahlke s'y laisse prendre, victime d'un accès foudroyant de naïveté propre aux hommes qui aimaient déraisonnablement les femmes. Libre à elle désormais de le manipuler à sa guise et de l'entraîner dans les eaux sombres de la remise en question.

Bientôt, lui aussi se mettrait à adopter son point de vue indulgent et permissif ; ç'avait déjà commencé, il s'en était rendu compte lors des exécutions des polonais inaptes et ensuite, avec cette histoire de fille engrossée de force et il ne savait que trop bien où ça pouvait le mener. Au même endroit que Jensen, sauf que sa dégringolade serait plus silencieuse et moins spectaculaire car il ne buvait pas. Il ne devrait peut-être pas se montrer aussi bienveillant avec quelqu'un qui restait inféodé à une relation hiérarchique. C'était difficile. C'était son ami, quand même. Il avait une faiblesse de caractère qui le prédisposait au sentimentalisme larmoyant et DeWitt en profitait, mais comment faire pour résoudre la situation sans escalade ? Il ne pouvait pas les empêcher de se fréquenter, à moins de vouloir se brouiller de manière définitive. Ce n'était pas comme si leur relation nuisait de quelque manière à leur travail, malheureusement. Ce qui se passait en-dehors ne le regardait pas, même s'il était officier. Non, ce n'était pas la bonne approche et il en avait sa claque des scandales pour le moment. Il risquait d'aller trop loin, comme d'habitude, il dirait des choses affreuses dans le seul but d'arriver au résultat qu'il s'était fixé et il avait encore trop de respect pour Dahlke pour user de cette stratégie-là. Il ne l'utiliserait donc qu'en dernier recours, s'il n'avait pas le choix, que ce soit avec lui ou même avec DeWitt.

Ça le démangeait pourtant, de lui en mettre plein la gueule à cette pute, dont le seul mérite était d'écarter les jambes au bon moment. D'abord avec Siegler pour s'attribuer une place bien au chaud au Marienhospital et maintenant, ici. Elle était sacrément maline, elle les choisissait avec une finesse qui pouvait presque forcer l'admiration. Siegler, si droit en apparence, mais souffrant d'un sérieux manque de confiance en lui depuis qu'il avait été incapable de légitimer sa femme auprès de ses propres supérieurs et ensuite, Dahlke et ses difficultés à masquer son empathie dans les moments les plus inadéquats. Voilà pourquoi il avait toujours été contre l'incorporation du personnel féminin dans le corps armé, fusse-t-il cantonné à des rôles d'auxiliaires. Le cas de DeWitt en aurait constitué un parfait exemple d'illustration, s'il se mettait un jour en tête de démanteler ce problème par la voie officielle. Trop jolie, donc trop distrayante, trop charitable donc pas assez efficace à son goût. Sans parler de ce qu'elle était en dehors de sa blouse d'infirmière : une catin échaudée dans la même lignée que Gunther, libre d'aller d'un homme à un autre, adepte des baignades mixtes dans le plus simple appareil en plus de son envie de sauver le moindre parasite qui passait à proximité.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant