11 von Falkenstein

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Étonnamment, ce fut Krauss en personne et non pas Zallmann, qui l'intercepta alors qu'il entamait son second tour du parc. Emmitouflé dans un manteau au col en zibeline, il s'était assis sur un banc recouvert de givre et se leva précipitamment alors qu'il le dépassait à la lueur des lampadaires tout aussi gelés que l'atmosphère. Il le laissa courir un peu derrière lui, ignorant ses exclamations furieuses, juste pour le plaisir de lui infliger pareil calvaire alors que six heures n'avaient pas encore sonné.

— Il faut qu'on discute, lui annonça Krauss alors qu'il s'arrêtait enfin, lassé de l'entendre crier dans son dos.

— Ah, c'est donc ça, rétorqua von Falkenstein en s'étirant. Je ne comprenais pas pourquoi vous vous obstiniez à me suivre en hurlant et en gesticulant dès le bon matin.

Ne voulant pas rester immobile dans ce froid, il se mit à marcher à vive allure. Ravalant sa contrariété, Krauss lui emboîta le pas, commençant déjà à suer dans son manteau d'hiver.

— Bah, je vous écoute, docteur Krauss, ajouta-t-il comme il ne parlait toujours pas. Si vous en êtes réduit à m'attendre sur un banc à l'aube, c'est que ça doit être important.

— Ce qui s'est passé, répondit enfin l'intéressé, sémillant derrière lui comme un chien particulièrement agaçant, ça ne doit plus se reproduire. Plus jamais. Vous comprenez ? Je comptais mettre le phénomène sur pellicule et l'envoyer aux hautes instances.

— C'est vous qui êtes un sacré phénomène, dit-il en résistant à l'envie d'accélérer encore pour le semer d'une manière définitive. Je vous avais dit quoi, déjà ? Vous ne vous y prenez pas de la bonne manière.

— Commencez pas avec ça, le prévint Krauss, toujours aussi furibond malgré le halètement qui déformait sa voix. J'ai l'impression que vous ne saisissez pas vraiment l'ampleur de ce que vous nous avez ramené ici.

— Oui, oui, une ampleur de moins de quarante kilos, vraiment impressionnant, se moqua von Falkenstein, s'attirant aussitôt un sifflement irrité qui ne fit que l'encourager. Mais je vous avais prévenu, vous vous souvenez ? Soyez reconnaissant qu'elle s'en soit prise à elle-même et pas à l'un de vous, déjà !

Krauss marmonna ce qu'il pensait être un argument convaincant mais qui se résuma à une bouillie inintelligible.

— La prochaine fois, c'est pour votre gueule, poursuivit-il alors qu'ils débouchaient aux abords de l'étendue d'eau, si belle en été et si déprimante en plein cœur de la saison morte. Ou pour celle de Zallmann. Ou même Muller.

— Comment je vais faire ? gémit Krauss, pathétique. L'œil-dieu est un trésor inestimable, si seulement on parvient à le comprendre ! À le maîtriser ! Imaginez ce qu'en penserait le Reichsführer !

Cette dernière phrase le fit piler. Expirant un épais panache de vapeur, les mains derrière le dos, il fixa Krauss, son manteau défait et ses belles chaussures plantées dans le chemin fait de givre fondu et de gravier.

— Ah oui, on en est là, commenta-t-il avant de ricaner. Le Reichsführer, rien que ça. Vous comptiez l'inviter ici pour le Nouvel An, peut-être ? Lui parler de votre Comité des Sciences Paranaturelles ? Lui montrer des lapins éviscérés et une petite ukrainienne qu'un courant d'air casserait en deux ?

— On lui dira qu'elle est allemande, dit Krauss, totalement imperméable à son second degré. Elle apprend vite, ça fera illusion. Vous lui ferez un certificat d'aryanité en bonne et due forme. Et ce n'est pas pour la nouvelle année, mais pour le solstice d'été, plutôt. Si toutefois elle coopère et nous laisse filmer son don extraordinaire. Cet Institut va devenir célèbre. Nous serons les pionniers de la science parapsychique. Les premiers explorateurs d'un continent inconnu. Les...

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant