10 Ania

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Elle se réveilla peut-être une heure ou deux plus tard, une sensation familière lui compressant le corps. Elle regretta d'avoir bu la tisane d'Anneliese aussi tard dans la journée, car elle avait besoin de retourner aux toilettes. Le lit de braises s'était désormais complètement éteint et un noir insondable régnait tout autour d'elle. Pendant quelques minutes, elle écouta les craquements étouffés qui régnaient dans le bâtiment et la brise qui s'écrasait contre le carreau aveugle en forcissant. Ses mains rejetèrent la couverture et elle se leva à tâtons. Elle n'avait absolument aucune envie de traverser la pièce, puis la chambre adjacente, en plein milieu de la nuit ; cela ne la terrifiait pas vraiment, certes, elle ne se trouvait que moyennement anxieuse à l'idée de le réveiller et puis, elle n'avait pas tellement le choix. Alors, elle traversa le salon avec une lenteur prudente, veillant à effleurer les meubles pour ne pas se prendre les pieds dedans, se frottant les paupières jusqu'à ce que ses yeux ne lui livrent des formes floues et sombres – la lune s'était dissimulée derrière un voile de nuages chargés d'eau, la privant de sa faible lumière blanche. Ses doigts posés sur la poignée roide de la porte mal fermée, Ania se figea sur le seuil, essayant de se rappeler le chemin qu'il lui restait à parcourir.

La chambre baignait dans les ténèbres. Les volets étaient fermés. Priant en silence pour ne pas faire grincer le parquet sous ses talons nus, elle entra, une main tendue afin d'effleurer le mur sur le côté. Le plancher demeura muet. Une sensation pelucheuse en-dessous de ses orteils lui apprit qu'elle foulait désormais le tapis. Ses phalanges la guidèrent le long de l'arrête de la commode, située en face du lit, et elle toucha par inadvertance le boîtier de la radio posée dessus. Elle y était presque. En tendant l'oreille, elle essaya de percevoir une respiration proche et y échoua. Lorsqu'elle posa la paume sur le panneau des sanitaires, il y eut un déclic et la lumière d'une lampe de chevet inonda un recoin de la pièce, lui blessant le visage. Elle se figea. De là où elle se trouvait, elle n'apercevait de lui qu'une vague forme enfouie sous les draps et le couvre-lit, une main tendue jusqu'à l'interrupteur, pâle, longue, vaseuse à cause de la fatigue et dans un frisson, elle l'imagina en train de s'enrouler autour de sa nuque, formant un nœud coulant souple et négligent et cela la fit déglutir.

— J'ai besoin de... commença-t-elle.

— Grouille, dit-il, ensuqué par le sommeil. La lumière me donne mal à la tête.

Elle se faufila dans l'antichambre sans demander son reste. Après un instant d'hésitation, elle tira le loquet derrière elle. Penaude, elle ressortit quelques minutes plus tard, essuyant ses mains humides sur les pans de sa chemise de nuit. Tête basse, elle contourna le lit à bonne distance, espérant qu'il se soit endormi. Au moment de franchir à nouveau la porte, elle s'arrêta en l'entendant parler à voix très basse.

— Vu que t'es là... tu ne veux pas venir ? Tu serais quand même mieux. Contre moi, je veux dire.

Ania n'osa pas se retourner. Sous ses pieds nus, le sol lui parut tout à coup bien plus glacé. Il y eut un second déclic et la faible loupiotte s'éteignit, livrant la chambre à l'obscurité et elle l'entendit remuer non loin, sûrement pour se mettre sur le dos.

— Mais viens, soupira-t-il. Je sais que t'en as envie. Je ne vais rien te faire, je suis trop claqué. C'est juste...

— Non, souffla-t-elle, mortifiée, sans pour autant se mouvoir d'un centimètre.

S'ensuivit un moment de flottement durant lequel elle l'entendit distinctement bailler. La froidure du parquet commença à monter le long de ses jambes, puis de son dos. Comment pouvait-il savoir ? De ça, elle ne lui en avait jamais parlé. Elle s'était bien gardée de lui révéler quoi que ce soit, alors comment pouvait-il savoir ? À l'Institut, avant que l'ombre n'apparaisse, elle avait occupé son lit froid et mort, enroulée dans sa veste feldgrau crasseuse dans l'espoir de retrouver un peu de lui dans cet ersatz imprégné de sang et maintenant... comment pouvait-il se douter...

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant