7 Nina

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Contrairement à ce qu'elle craignit durant les premiers jours, l'installation du docteur Vogt et de ses troupes se passa sans anicroches notables. Les soldats composant son escorte étaient parmi les plus polis de sa connaissance, bien qu'assez distants, préférant le confortable entre-soi aux discussions stériles avec quelqu'un comme elle. Ce communautarisme était caractéristique de la plupart des SS, elle l'avait déjà remarqué avec von Falkenstein, qui avait la fâcheuse tendance de traiter ceux qui ne portaient pas son uniforme comme ses serviteurs personnels. Ce n'était pas heureusement le cas des hommes de Vogt, qui se contentaient de répondre à ses demandes dans les rares cas où elle les sollicitait, toujours pour des questions de domestique triviale.

Vogt lui-même lui paraissait digne d'intérêt depuis leur première conversation. Il avait accueilli l'existence de Gestalt avec une praticité toute militaire – ce qui la rassura, bien qu'elle peinât à l'admettre. La créature fut enfermée dans une cave bien plus sécurisée, scellée derrière une porte importée tout directement de Mannheim et de ses usines, qu'ils installèrent en un temps record et qui était désormais gardée jour et nuit par rotations. Plus personne n'était autorisé à la voir ou lui parler jusqu'à nouvel ordre – qui viendrait de Vogt, bien évidemment – et cela contraria beaucoup Viktor. Cela dit, à part son manque d'accès à l'ombre réelle (ainsi qu'il s'était mis à l'appeler), Viktor vivait plutôt bien la passation de pouvoir entre lui et l'autre docteur. Nina le soupçonnait d'en être secrètement soulagé. Désormais débarrassé de tous les petits détails ennuyeux inhérents à la gestion de l'Institut, il passait la plupart de ses journées dans son bureau, penché sur elle ne savait quelle synthèse inspirée du bojeglaz. Écrirait-il des alexandrins ou des sorts d'invocations fantaisistes que cela lui était indifférent, elle-même étant trop absorbée par sa nouvelle importance. Vogt la chargeait d'écrire différentes missives à l'intention de services tout aussi divers et elle s'exécutait en permanence, flattée de ce simple travail de secrétariat. Il lui demandait de signer en tant que directrice adjointe. Cela voulait tout dire sur son avenir.

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Voilà près de six jours qu'elle assistait Vogt dans son entreprise de réorganisation complète de l'Institut. Le projet avait de quoi lui faire tourner la tête, si bien qu'elle se surprit à ne plus vraiment penser à Viktor et à la chose enfermée dans la cave. Le samedi soir, Vogt reçut toute une pléthore de plans d'architecte, qu'il ne prit pas la peine de dérouler devant elle – Nina comprit cependant qu'un gros œuvre était prévu ; elle n'osa pas lui en demander la nature, préférant plutôt se pencher sur la rédaction de l'invitation de visite adressée à Himmler en personne. Sur ce point, Vogt poursuivait le même objectif que son malheureux prédécesseur. La seule différence, c'est qu'il était bien plus crédible que Krauss. C'était Bruno qui allait être ravi, maintenant que tout ce capharnaüm prenait des allures plus officielles. Après tout, c'était à lui qu'ils devaient ce bouleversement majeur. S'il n'avait pas pris la décision précipitée d'amener Ania à Stuttgart, qui sait combien d'années encore Krauss aurait passées à filmer des petits animaux réduits en bouillie en s'extasiant sur la moindre minute de leur supplice. C'était également grâce à lui qu'elle était désormais dans les petits papiers du nouveau maître des lieux. Peut-être devrait-elle passer un coup de fil au Marienhospital, où Bruno logeait, pour l'en remercier. Nina était même prête à oublier les tensions catastrophiques qui avaient entaché leur relation les mois précédents, à lui laisser une seconde chance. Oui, elle se sentait capable de lui pardonner de s'être rangé du côté de von Falkenstein, d'avoir ri d'elle de concert avec ce dernier. Bruno avait toujours été comme ça, à cause de la peur. C'était la peur qui le poussait à agir ainsi, à se mettre du côté des plus forts, des tyrans et des harceleurs, depuis la cour de récréation jusqu'à l'Institut et au fond, Nina comprenait. Il en ferait de même avec Vogt, c'était certain, sauf que Vogt l'avait à la bonne depuis le premier jour et Bruno se rangerait à son opinion sans broncher ; car Bruno était un perroquet qui répétait tout ce que le pouvoir en place disait. Il mettrait de côté toutes ces menaces de Lebensborn, qui n'avaient jamais été les siennes, mais celles de von Falkenstein.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant