2 Hans

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Samedi soir, l'Hauptsturmführer Konrad Laurentz débarqua de l'asile de Mannheim à vingt-trois heures passées. Son Opel P4 d'un jaune terne roula jusqu'au dispensaire, phares en berne pour se garer non loin du préau. En sortit un grand bonhomme blond, portant le bouc, des bottes assorties au pantalon militaire et le tout surmonté par une espèce de marinière blanche au col rayé. Hans comprit alors qu'il n'était qu'un civil à qui on avait filé un grade au hasard pour lui donner une espèce d'importance. À sa voix au téléphone, il l'avait imaginé sec et guindé, un peu comme lui, à vrai dire ; et ce qu'il avait sous les yeux présentait au contraire une ressemblance frappante du laisser-aller universitaire à la Zallmann, si on excluait l'absence d'embonpoint et les yeux clairs.

— Bah c'était bien la peine de se mettre en tenue, avait ronchonné Dahlke alors que Laurentz approchait. L'autre, il va à une partie de pêche à la ligne et nous on l'attend comme des guignols à la parade.

Il avait tout juste eu le temps de lui siffler de se taire avant que Laurentz n'arrive à portée de voix.

— Messieurs, s'était-il exclamé en tapant dans les mains. Qui est qui ?

Une fois les présentations en règle terminées, il avait avoué avoir oublié de prendre son terrarium de mygales maçonnes dans un moment d'égarement.

— Quel dommage, on brûlait tellement d'en avoir, avait commenté Dahlke.

Ils avaient soigneusement évité de se regarder à ce moment-là pour conserver leur sérieux. Vider le coffre de la P4 du matériel de sismothérapie ne lui valut qu'un seul voyage. Le nécessaire se résumait à un boîtier sombre paré d'une poignée de valise et Laurentz l'appelait « appareil de Sogliani ».

— Révolutionnaire et italien, avait-il ajouté.

Une fois dans le couloir du dispensaire, après en avoir longuement complimenté la propreté et la quiétude, il entreprit de les bassiner avec ce fulgurant progrès de la psychiatrie clinique et l'important bouleversement de la médecine qui s'en suivrait. Casquette sous le coude, ils l'avaient écouté déblatérer ses interminables inepties et à un moment, il était sûr d'avoir vu Dahlke se mordre la bouche pour retenir un bâillement.

Ensuite, Laurentz enchaîna sur l'effet de mode récent qu'était la psychanalyse freudienne et Hans fut sur le point de lui demander s'il lui était possible de prendre la place de Muller pour la séance de sismothérapie plutôt que de continuer à l'écouter.

— Encore un autrichien, dit Dahlke. Ce Freud.

— Oui, confirma Laurentz. Moi-même, je suis originaire de Vienne.

— Décidément ! On est envahis, c'est pénible, répondit Dahlke.

Au bout d'un pénible quart d'heure de monologue sur Totem et Tabou, Laurentz se décida enfin.

— Montrez-moi la patiente.

Ils l'amenèrent donc dans la chambre de Muller. Ce soir, le bloc médical était désert, il s'en était assuré. Il avait envoyé Hoffmann et DeWitt veiller sur la rotule de l'Obersturmbannführer Vogt jusqu'au petit matin, satisfait d'avoir un prétexte tout indiqué pour les éloigner du dispensaire. Quant à l'infirmière Baumgartner, elle pleurnichait depuis des jours pour passer la nuit à Illwickersheim où le Rottenführer Fuchs et elle mettaient à contribution les lattes d'un des nombreux lits du Pivert. Il s'était montré compréhensif et arrangeant. Dahlke et lui s'étaient donc retrouvés seuls comme l'avait exigé Vogt. Bien sûr, elle, elle était restée, mais ce n'était pas comme si elle posait le moindre problème.

S U A H N I E BOù les histoires vivent. Découvrez maintenant