Je fais un geste de la main dans le lointain pour signifier qu'on aura beau habiter le même étage, on peut très bien faire comme si l'autre n'existait pas. Elle me fait un sourire sincère et me tend une serviette. « Pour tes cheveux, lâche t-elle. Faudrait pas que t'attrapes la mort. »

Si Abby avait semblé toute disposée à m'aider, elle est plus que résignée à l'idée d'accueillir une dizaine de personnes traumatisées. Il y a bien assez de place pour tout le monde mais c'est toujours difficile de faire une place dans son lit et son garde-manger, surtout quand on a été habitué aussi longtemps à rester en petit comité. S'ajoute à ça l'angoisse du plan pour secourir des personnes qu'elle ne connaît pas, qui pourraient très bien se retourner contre elle. T'es complètement parano, ma pauvre fille. Tout ce qu'on veut c'est avoir un toit au-dessus de notre tête et quelque chose à manger. Y'a aucune chance qu'on s'en prenne à ta famille, je me dis en me nouant la serviette propre autour de la tête. 

Abby a cherché à convaincre son mari qu'ils pourraient se débrouiller seuls. Mais de son côté, les choses ne sont plus si claires. Le petit a une sacrée toux et l'hiver approche. Il va falloir trouver un moyen de se chauffer. De la main d'œuvre serait pas de refus ! Et des pauvres types qui tombent du ciel, y'en a pas des tonnes toujours vivants après la chute.

Le plan est simple, sans prise de tête.

Je descends avec le mari faire diversion pendant que les autres nous rejoignent discrètement. Abby gardera la porte d'entrée ouverte. Nous, on fera le tour de l'immeuble par la gauche. Là, il y a une grille et derrière la grille, il y a un escalier extérieur et une porte de secours. Ça nous fait deux entrées.

Je ne sais pas s'ils ont vraiment compris de l'autre côté de la rue. On s'est fait des grands signes pendant des heures mais on était trop loin et il était déjà tard quand j'ai eu l'idée de monter sur le toit. On n'apercevait rien, seulement ce drap qui claquait dans le vent et des petits personnages qui courraient d'un bout à l'autre du toit. Y'avait tellement de bruit dans la rue qu'on avait trop peur de crier. Ça en aurait rameuté d'autres.

Pourtant, il n'aurait suffi que d'un cri pour être fixé. J'aurais pu mettre un nom sur une silhouette. Ça aurait pu être Chris là-bas. Le pire, c'est que ça n'aurait pas changé grand-chose, quand j'y repense. J'aurais laissé personne sur le toit ; Chris ou un autre. D'une manière, c'était déjà plus que des voisins.

J'étais dans cet entre-deux plutôt agréable où on a pas encore conscience de l'identité des morts. Abby ne m'avait rien caché mais je n'avais pas cherché à savoir non plus qui m'avait suivi dans ma chute. Elle m'avait répété que j'étais la seule à avoir survécu, la seule à rebondir sur les sacs poubelles et à m'être caché dans une benne. Personne d'autres ne s'était relevé vivant. De toutes manières, elle n'avait pas dû voir grand-chose. Je l'imaginais mal le nez contre la vitre, à compter les vrais morts des faux.

Le mari me confie un long couteau et un sac à dos. Je le soupèse, franchement sceptique, mais il est léger et pas trop encombrant. En fourrant ma main à l'intérieur, je discerne les formes d'un marteau, d'une corde et d'une gourde. D'un signe de tête, je remercie Raymond. On s'apprête à sortir. Il embrasse son fils, serre sa femme dans ses bras, et puis il tourne la clef dans la serrure et nous sommes dans le couloir.

Leur appartement est au rez-de-chaussée. On marche lentement. Enfin, on arrive devant la porte d'entrée. Ils l'ont barricadée, leur porte d'entrée. Il va falloir déplacer les meubles pour passer ; pas tous mais quelque uns, de manière à laisser le chemin assez encombré si jamais des Créatures rentraient. Je jette un coup d'œil à ma montre. On a deux minutes d'avance. On se met à la tâche en silence.

Le mari est armé d'un long fusil de chasse. Il est chargé. Le reste des munitions sont dans ses poches.

Il me regarde et je hoche la tête.

Anthologie de la finHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin