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- Il va revenir.
- Bien sûr qu'il va revenir. Il est juste en retard.
Collée contre la vitre, j'observe la cour. Le soleil se couche derrière les miradors. Des rires nous parviennent depuis le réfectoire. Ce soir, c'est pois-chiche et ragoût de cerf. La viande marine toujours dans une soupe par ici. Il y a trop de gens pour qu'on puisse la partager équitablement ; ou alors il faudrait s'en priver pendant des mois et constituer des réserves. Il aurait fallu partir en chasse des grands troupeaux, dans les plaines ; un voyage de plusieurs jours mais encore réalisable en cette saison. Je me vois bien à cheval, sans scelle, le fusil à l'épaule, en joue.
La balle qui siffle à mon oreille.
Le poids du cerf contre mon corps.
La chair, le sang, la peau et les os qui satisfont non seulement moi mais aussi tous les autres.
Ce matin, j'ai passé mes doigts sur les étiquettes des bocaux, humé l'odeur des fleurs séchées accrochées en bouquet. J'ai trempé le bout de mon visage dans un sachet. C'était du thé.
- Bio et ethique, m'a dit Tyreese. C'est moi qui l'ait fait.
- Ça sent pas très bon.
- Il suffit de trouver une base en magasin et de mélanger ça avec des fruits, des fleurs ou des épices, explique Tyreese en m'ignorant. J'aime bien en fabriquer pendant mon temps libre.
- Y'a pas des trucs plus utiles à fabriquer que du thé ? En plus, y'en a encore plein à récupérer... Contrairement au café.
Il m'a lancé un regard fatigué mais il n'a rien ajouté.
Sur mes genoux, j'ai gardé un exemplaire des Raisins de la Colère.
Lui aussi a du mal avec le concept de « temps libre », je le sais. Il se force un peu. Le retour à l'ennui est difficile. Avant, c'était toujours là, pas très loin. Je tournais en rond le dimanche, à attendre Chris qui parfois ne venait pas. Je ne lisais pas ; j'avais la télé. Et puis, ça a disparu. Des années sans ennui. Mon cœur a pris le rythme. Après, c'est revenu sous la forme de livres, de confection de sachets de thé ou pire, d'instruments de musique ; comme si ces fragments de la société n'avaient pas brûlé, mais qu'on les avait juste oubliés, mis de côté. Dans la plus grande déchetterie de l'univers : ici, dans "le monde d'après".
L'été touche à sa fin.
Les réserves s'amenuisent. Les troupeaux s'éloignent. Les cultures périssent.
La famine nous pend au nez et livres et sachets de thé ne peuvent nous en détourner.
Avec le fauteuil roulant, j'ai pu suivre Beth partout dans le bâtiment D. Son père n'a pas osé s'y opposer. Rick a été clair : en l'absence de Tyreese, je suis sa responsabilité. On aurait pu me confier à n'importe qui d'autre, quelqu'un de plus âgé ou de plus mature. Les gens comme moi n'ont pas d'amis comme Beth.
