Sang et lait

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Ils l'ont enfermé dans le cabânon de jardin, là où l'on enferme les indésirables ; les choses qu'on préférait ne pas avoir à utiliser : les pelles, les scies, les marteaux, et les rateaux

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Ils l'ont enfermé dans le cabânon de jardin, là où l'on enferme les indésirables ; les choses qu'on préférait ne pas avoir à utiliser : les pelles, les scies, les marteaux, et les rateaux. Moi, je ne me cache pas. ça ne sert à rien. Je quitte les bras des garçons et descend lentement les marches d'escaliers. Le bois craque sous mes pieds, dans une cacophonie acceuillante que je connais. J'entends les autres se redresser dans leur lit.

Dans la moiteur de l'air, encore chargé des braises, mes orteilles s'enfoncent dans le gazon. Le vent se lève mais je ne sens pas la mort. Il s'agit d'une maison de banlieue, loin de celle en lisière de forêt ; celle où nous nous sommes séparés. Les allées sont vides, les poubelles pleines ; mais ça pourrait simplement être un dimanche matin, très tôt. J'embrasse mes mains écorchées. Wilson a allumé une torche.

Les gens ne se méfient pas. Ils ont toujours pris Chris pour le monstre ; et moi, ils me bousculaient pour avoir l'opportunité de le frapper. Ils m'ignoraient.

Du papier verglacé, voilà ce que j'étais.

Au début, c'est vrai, Chris rendait les coups ; mais j'avais de bien meilleures idées. A cette époque, ils rénovaient le toit du lycée. Ils voulaient installer des ruches ou je sais pas quel autre truc à la con. On a profité de l'opportunité. J'ai créé l'opportunité. Il y avait ces planches en bois. La sonnerie annonçant la fin des cours m'a transpercé. On a attendu patiemment qu'ils sortent.

Patiemment, on est toujours arrivé à nos fins.

J'ai voulu les appeler, pour qu'ils me voient.

Pour qu'ils sachent que c'était moi.

C'est moi qui ait donné l'ordre.

Ce n'est arrivé qu'une seule fois et j'avais mes raisons.

Il y avait Ann, Kate, la mort et le divorce.

Maintenant, il n'y a plus que la mort.

La seule chose qui me tient en vie, c'est Chris. Et la seule chose qui l'a tenu en vie, c'est moi.

Les garçons comptent sur nous. Ensemble, on survit. On est invincible.

Les garçons comptent sur nous.

Tout sauf la misère, tout sauf les pleurs, tout sauf la mort

Je fixe les tombes et me tape le crâne. Quel est le prix de mon âme ?

- S'il te plait, Hélène, rentre.

Je ne suis pas armé. La porte du cabânon est fermée. J'entends le cliquetis de l'arme avant de l'entendre. Il a retiré le cran de sécurité. Je n'ose pas me retourner. Le canon de l'arme tapote mon épaule, m'autorisant un dernier regard en arrière ; la possiblité de faire marche-arrière.

- On s'en va, Vincenzo. Tu ne me reverras pas.

- Il doit payer.

- Il t'a laissé tes deux enfants. Il aurait pu les prendre.

- Ce n'est pas un argument !

- C'est déjà fait, je tente.

Il serre les lèvres. Ses yeux sont dures. Il laisse les larmes couler.

- Tu vas vraiment le faire ?

Même mon ton condescendant ne peut cacher le voile de transpiration, l'odeur de la peur.

- Ca n'a rien de p-personnel. Tu as pris ta décision, j'ai pris la mienne.

- De père de famille à assassin, je te pensais différent.

Il voit clair dans mon jeu. Son regard s'excuse. Il presse la détente.

- Hélène !

Je ne l'ai pas vu, même pas apperçu. J'aurais dû !

Lucas s'effondre face contre terre.

Du sang, son corps immobile, le silence.

Il est mort.

C'est mon coeur qui rate un battement.

Le monde tangue un instant.

- Non.

Je fonds sur lui, le relève dans une marre de sang mais il ne tient pas debout. Je n'ai pas la force de le redresser. "Lucas, Lucas", je l'appelle. Il me renvoie un regard un peu étonné. Je lui tiens la nuque. Je presse ma main sur sa plaie. Je n'entends déjà plus son coeur. Son souffle est calme ; un glougloutement. Il s'étouffe en parlant.

- Hélène.

Ses yeux d'enfant me supplient.

- Je... pas mal.

- Au secours ! je crie. A l'aide !

Mais qui va répondre à mon appel ? Vincenzo s'approche d'un pas. Il est dépassé. Il laisse tomber son arme. J'entends les sanglots de Perçy. Je me jette en avant, récupère l'arme et tire. La balle l'atteint à la jambe. Il supplie.

Mon regard balaie l'horizon. L'enfant qui pleure, ce n'est pas Perçy. A travers ses larmes, Magda grave mon visage. Elle lève son minuscule poing d'où jaillit un doigt accusateur.

Je tire encore.

- Laissez-moi partir !!

Cette fois, Vincenzo ne bouge plus. Lucas non plus. Magda s'enfuit. Je la vois à peine s'enfoncer dans l'obscurité, courir à coeur perdu dans la rue. Elle rejoint les enfants perdus. Wilson apparait par la porte-arrière. arme sa carabine. Je tire encore mais ce n'est pas moi qui l'atteint. Chris se détache de l'obscurité et d'un coup de marteau, il lui éclate le crâne. Il est couvert de sang. Il a déjà tué les autres ; tous sauf l'étrangère et mon Perçy qui apparaissent à leur tour sur le seuil. Ils ont fait leur sac.

Je rampe jusqu'à Lucas. En quittant mes bras, je crois qu'il est mort. Je presse son visage dans le creux de mon épaule, imaginant lui faire du bouche à bouche, réanimer son petit coeur brisé. Je n'ai pas eu le temps. Je ferme les yeux et je me dis qu'en les rouvrant, on reviendra en arrière ; je l'entendrais approcher et c'est moi qui serait touché. Quand je relève la tête, Chris est là. Sa main tâchée de sang écrase les larmes sur ma joue.

- J'attendais que tu viennes me chercher.

- Pourquoi tu l'as gardé, elle ? je demande, tout bas, fixant l'étrangère.

- Perçy a besoin d'une mère. Elle est bien.

Qu'est-ce qu'elle avait pu dire ? Qu'avait-elle pu faire pour qu'on lui accorde la vie ? Je dévisage sa silhouette bancale d'où percent ses seins en forme d'obus. Chris ferme les yeux de Lucas. Je le sens déjà se tourner vers la fosse. Ma main effleure ma cuisse. On m'a tiré dessus.

- Je n'aurais pas dû faire ça.

- Tu regrettes ?

Il me prend dans ses bras.

- Tu ne réfléchis jamais. Quand ça te prend, tu ne peux rien y faire.

Sa main agresse mes cheveux, les repousse en arrière. C'est comme si mes yeux s'ouvraient sur son abîme. Je me laisse sombrer. Sous mes paupières, il y a des fleurs de sang, des crânes vivants et des enfants.

Je me réveille plusieurs fois. Il a refusé d'enterrer Lucas. Il a abandonné Baveur dans la maison. Il n'a pas cherché Magda dans le quartier. Il a pris la camionnette et il a roulé le plus loin possible. Il n'avait pas l'intention de s'arrêter. Il s'est tourné vers moi.

- Arrête de pleurer.

J'ai léché mes larmes. La faim vous plonge dans une torpeur dangereuse. Tapi dans l'ombre, je fixe Perçy s'abreuver aux seins d'une femme complétement nue ; qui riait et qu'on avait baillonné ; qu'on avait menotté. Je les aies regardé se nourrir, prendre du plaisir.

J'ai regardé puis j'ai attendu mon tour.

Anthologie de la finWhere stories live. Discover now