Perdre la tête

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- Hélène ! Je t'en prie : fais quelque chose !

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- Hélène ! Je t'en prie : fais quelque chose !


La gifle s'abat sur ma joue. Je flanche. Comme un chien qui sort de l'eau, je m'ébroue. Je tremble de tous mes membres. Lucas me frappe encore. Il hurle et ses ongles s'enfoncent dans mon poignet. Nous ne sommes plus très loin de la maison mais la terre s'ouvre et nous avale. La terre, irrégulière, sous mes pieds me fait trébucher. Ma peau est molle, luisante, comme celle d'un gros serpent. Je tangue. Mes jambes s'emmêlent. Et dernière nous, les râles s'en mêlent. Je jette un coup d'oeil en arrière ; un seul. Le soleil s'est à peine couché. Ils émergent de la pénombre comme une nuée d'araignée. J'ai les dents qui claquent.

Je n'avance pas mais Lucas ne me lâchera pas. Il est prêt à me faire mal, pour me forcer.


- A l'aide...


C'est un murmure dans la cohue. Abbie s'est fracassée le dos sur les marches du perron. Lucas laisse échapper un soupir frémissant. Il n'a plus le courage de respirer. Je me tiens immobile à ses côtés. De la porte d'entrée émergent les cris de terreur de Perçy et d'O'Connell, pour une raison inconnue cloisonnés à l'étage. Ma main trouve la crosse du Glock. Quand Chris sort, je braque.


- Hélène ! hurle Lucas.


J'ai les doigts sur la détente.

C'est la première fois.


Je suis sûre de ce que j'ai vu.

Je suis sûre de ce que j'ai vu ?

Mon coeur frappe.

Le tonnerre de leur pied fracasse le sol. L'odeur de mort, son regard inflexible, les gémissements d'Abbie, je flanche encore. Chris me dépasse, agrippe Abbie et la traine à l'intérieur. Elle hurle à chaque marche qui s'enfonce dans sa colonne vertébrale. Mes bras pendent de chaque côté, ballants, les mains vides. J'en ai lâché mon Glock. Autour de moi, les ennemis de demain bourdonnent. Ils s'agitent ; barricadent les fenêtres et les portes. Je tire le canapé, la commode, renverse le frigo. O'Connell s'est penché au-dessus du corps d'Abbie. Perçy hurle en discontinu. Je sens deux doigts qui me désarment. Une première créature s'étale contre une vitrine. Je pleure.


- Tout va bien, murmure Chris. Tout va bien.

- Ils sont trop nombreux !


Par vague, ils éclatent les carreaux. On monte à l'étage. J'entends mon coeur, seulement mon coeur. Chris tire dans le tas. J'ai perdu mon arme. O'Connell me prend dans ses bras. Lucas me presse. Perçy, où est Perçy ? Je retourne sur mes pas, l'arrache au corps chaud de sa mère et monte les marches. Elle hurle mon prénom. Je m'étouffe. J'ai des larmes dans la bouche. Une main saisit ma cheville, je frappe. La créature grogne. Je pousse Perçy dans les toilettes, fait passer Mano et O'Connell, et ferme à clef derrière eux. Il crie mais je l'ai enfermé. Je vais dans la chambre, tire le lit de bébé, le fait basculer dans les escaliers. Chris a juste le temps de l'esquiver. Toujours agrippé à la ballustrade, je l'aide à retrouver son appui à mes côtés. Il n'est pas surpris. Jamais je ne l'aurais abandonné. La commode, dans sa descente infernale, repousse la première vague.


- Sortez par la fenêtre et courrez ! je crie.


On ne m'entend pas. Abbie, en hurlant, en pleurant, en injuriant, les attire à elle. Je n'apperçois qu'un morceau de jambe rouge qui s'agite puis plus rien. Elle a disparu en enfer. J'aimerais qu'elle soit morte sur le coup.

Elle est morte sur le coup. Je m'en convaincrais bien.

Je regarde Chris et il sourit. Je ne l'ai jamais vu sourire comme ça, de toute notre vie.


- Bien fait, dit-il.


J'ai envie de vomir. J'entends la fenêtre-guillotine s'ouvrir. Un cri. Quelqu'un s'est cassé la cheville. Je reconnais les hurlements quand on le mange. Je revois son visage, tous ses souvenirs, son rire. Et je n'y tiens plus. Je retourne dans les toilettes, dévérouille la porte, repousse Mano contre la porte.


- O'Connell !


Une plainte, une supplication. C'est moi qu'il regarde quand on lui dévisse la tête.


- Il y en a trop, murmure Mano. On est encerclé.


Chris entre et barricade la porte. Lentement, je me tourne vers lui.


- On aurait dû rester à la centrale. Tu nous as tous tué.


J'ai la voix qui tremble. Je suis sûre qu'il n'a rien compris.


- On va faire du bruit. On a qu'à lancer des trucs depuis le deuxième étage !

- ça sera jamais assez loin, rétorque Mano. Ils sont trop nombreux.


Il ne me voit pas. Son regard passe au-travers de moi.


- La maison ne tiendra pas.


Sa conclusion me fait dresser les cheveux sur la tête et je la secoue d'avant en arrière.


- Non, je refuse.

- Défonçons l'escalier, propose Chris.

- C'est trop tard, ils sont déjà là.

- Je sais, je plasmodie.

- Ils vont rester dessous et nous attendre.

- Je sais, je supplie.

- Défonçons l'escalier !

- C'est trop tard pour ça !


Un moment de silence. Mano déglutit. Cette fois, j'ai la sensation qu'il reprend ses esprits. Il a l'esprit pragmatique, encore plus que moi et Chris. Il m'observe, passe une main sur son visage, regarde en bas. Je m'apprête à lui dire qu'on a pas d'échelle. Ses yeux sont exorbités. De nouveau, il secoue la tête. Et se tire une balle en plein dans le crâne. Le sang m'asperge. Je suis un poisson hors de l'eau. J'essuie le liquide sur mes joues, sur mes yeux. Je n'ai pas le temps de cracher. Il faut avaler. Perçy s'est fait pipi dessus. Je ramasse le barillet. Il reste encore deux balles. L'enfant tremble en me regardant. Je m'agenouille, lui prend les mains. Les gonds de la porte tressautent. Il nous reste peu de temps. Le cran de sécurité est toujours baissé.


- Laisse-moi faire, ordonne Chris.

- Touche-moi et je te tue.

- On va mourir de toute façon.


Il me prend dans ses bras. Perçy m'échappe. Je gémis. Il se cache sous l'évier. Je sens que je ne peux plus respirer. Chris embrasse mon front, enserre mon cou. Imperceptible dans la nuit, je l'entends quand même : la sonnerie ronde et rassurante du camion de pompier. Il en aurait fallu de l'eau pour éteindre la centrale !

Je cours à la fenêtre. Les lances à incendie repoussent les rôdeurs. Trois silhouettes émergent du camion et courrent dans notre direction, pénètrent dans la maison. Les jets d'eau tiennent les Créatures à distance. Comme un appel d'air, elles attirent celles à l'intérieur. J'entends le carnage en bas disparaitre, puis des pas dans l'escalier, trois petits coups contre la porte.


- Chris, dit la voix de Wilson. J'ai deux mots à te dire.

Anthologie de la finWhere stories live. Discover now