Infirmière en carton

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Quand Beth ouvre la porte du bâtiment D, la nuit m'horrifie

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Quand Beth ouvre la porte du bâtiment D, la nuit m'horrifie.

- Attends ! je crie et le fauteuil s'immobilise.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

J'ouvre des yeux aveugles. Tout est plongé dans l'obscurité. Un morceau de cours se découpe dans la lumière ronde de la lampe torche. Beth illumine le monde de gauche à droite. L'herbe a un aspect jaunâtre. Surréaliste. Je lève la tête mais le ciel est méconnaissable : il a avalé la lune et les étoiles.

Sans réponse de ma part, Beth éteint la lampe torche et mes roues glissent dans la boue. Elles s'enfoncent dans un chuintement. J'essuie mes joues verglacées. Pour une soirée d'été, il fait un froid polaire. Le vent du Nord souffle fort ce soir.

- Je ne vois rien.

Ce n'est pas vrai. Même la lampe éteinte, on discerne encore les formes floues des miradors et les lumières tremblotantes qui suivent le grillage de long en large. La première patrouille et les veilleurs. Ça va bientôt être la relève.

- Écoute ! je chuchote.

La nuit fourmille. Je ne discerne pas les cris des chauve-souris. Les chouettes, les hiboux et les musaraignes ; les Créatures ; toutes ces autres bêtes animent le paradis nocturne. Je lève un bras mou. Là-bas, j'en sens un. Leurs cris, leurs gémissements, leurs chants, s'éparpillent en cacophonie dans la cour. Beth suit mon regard et elle le voit juché sur une table. C'est un rat, un écureuil ou une licorne. Ils viennent tous de la forêt ; en migration ici pour nicher dans la vieille pierre. Beth avance et je respire.

- Ça va aller ?

- Les crapauds me font mal aux oreilles.

- On y est presque.

- Ralentis, je supplie.

Mes fantasmes sont indécents.

Je dévore les odeurs.

Le fauteuil s'éloigne en silence. L'herbe est grasse, tendre, malgré le piétinement incessant des Prisonniers. Je n'ose pas me retourner. Je sens l'ombre menaçante des bâtiments, prêts à me rattraper, à me ravaler. Derrière une vitre sale, peut-être que Ginny nous regarde. « Sortir pour sortir, ça sert à rien. Fourre toi bien ça dans le crâne. » Si seulement, il pouvait pleuvoir ! Si seulement, je pouvais voir les étoiles !

En amorçant la descente, Beth se fond dans la pénombre. Le sentier est jonché de minuscules cailloux qui font dérailler les roues. Plusieurs fois, le fauteuil tangue. Beth me houspille : « Ne te penche pas ! Reste contre le dossier. Garde les bras sur les accoudoirs. » Elle ne me regarde jamais. Ses yeux balayent la cour et les rôdeurs. Dans le noir, son teint est fantomatique.

- Rien qu'un brin d'herbe, je murmure. Pour sentir.

Il y a quelque chose d'étrange. Au début, j'ai cru que c'était la cacophonie. Tu n'y es plus habituée. Tu as été dorlotée. Tout n'est que hululements, gémissements, croassements... Quand j'ose enfin m'en détacher, pour la retrouver elle, Beth, je n'arrive pas à la voir. Elle qui n'a cessé d'avancer, qui fixe toujours la grille et les morts. Tu n'entends pas ? Tu ne vois pas ? Non, elle est hermétique à l'harmonie. Ma main trouve la sienne. Son regard reste voilé. Où es-tu partie, comme ça ?

Anthologie de la finWhere stories live. Discover now