Chapitre XXXIV : Au fond de la fosse

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A mesure que les jours passaient, j'avais fini par me persuader qu'il n'y avait probablement pas de pire boulot que mon travail au service de Soins. A dire vrai, je me prenais souvent à envier ceux du service d'Entretien. J'abhorrais cet hôpital glacial dans lequel je passai mes journées. Je détestais ces chambres toutes identiques qui voyaient se succéder des malades et des blessés. Je haïssais mon boulot et je haïssais Amandine qui s'en moquait.

Mon amie avait intégré la plus haute unité dès qu'une place avait été vacante. L'unité 1, sous le commandement direct de Sandrine, la responsable de l'Extérieur elle-même. J'entendais régulièrement le récit des incroyables aventures de l'unité 1 en dehors des murs, qui impressionnaient même les gardes les plus chevronnés. Je ne savais pas si ces histoires étaient vraies à cent pour cent ou simplement des rapports enjolivés par des beau-parleurs, mais cela suffisait à m'agacer.

Étienne n'avait pas perdu son temps avant de partir pour sa première expédition. Nous lui avions dit au revoir un matin, à l'aube, et nous l'avions vu sortir de la colonie, dans un groupe mené par un homme au front dégarni, dont les cheveux bouclaient à l'arrière de son crâne. Depuis, je ne l'avais revu que deux fois. Il ne revenait au camp que pour un ou deux jours, et repartait pour une durée indéterminée.

Ludovic avait commencé son entraînement dans la garde. J'ignorai en quoi consistait sa formation, mais lui qui se montrait d'habitude si jovial à l'heure des repas ne desserrait presque plus la mâchoire. Des rares mots qu'il nous adressait encore, j'avais compris que sa formation serait achevée à la mi-novembre. Là, il intégrerait la vraie Garde. Il restait assis dans son uniforme de la Garde, son foulard jaune de nouvelle recrue autour du cou. Il engloutissait son repas comme s'il n'avait rien mangé depuis des semaines, se penchant au dessus de son assiette afin de lever son bras moins haut. Quand il avait terminé, il se levait en grimaçant, nous saluait et sortait du réfectoire en boitillant, nous laissant dans le même silence, encore plus gêné.

Oh, nous ne manquions de rien, à Dijon. Mais la profusion, le confort et l'occupation avaient troublé nos relations comme jamais.

Quant à moi, je faisais mon possible pour ne pas m'énerver, à chaque fois qu'Amandine me demandait comment s'était passée ma journée. Je me retenais de lui cracher au visage que je la regarderais volontiers passer des heures aux milieux de blessés, parfois presque des cadavres. Elle essayait simplement d'être aimable, et je ne l'étais pas.

Dès le premier jour, j'étais allée trouver la responsable du service de Soins, Ève. J'avais longuement insisté sur le fait que je ne savais pas soigner les gens, que je serais bien mieux dans un autre service. Elle m'avait alors adressé un sourire patient et m'avait dit que ce n'était pas un problème, qu'on m'apprendrait.

Et en effet, on m'avait appris. Je savais nettoyer correctement une plaie, panser une blessure peu profonde... J'avais songé pendant quelques temps à feindre une parfaite incapacité à faire mon travail. Mais une conscience professionnelle envers les malades m'avait interdit de le faire. Cela ne m'empêcha pas de redemander à quatre reprises une mutation à Ève. Je n'exigeai même pas l'Extérieur. Seulement un autre service, pour ne plus avoir à supporter l'hôpital et ses mourants. Les quatre fois, la réponse à été la même : catégorique et négative. Frustrée, je n'avais parlé à personne de la clé USB, même si j'étais entourée de médecins.

Je m'étais résignée à passer ma vie à panser des plaies. Je commençais même à m'habituer à l'odeur âcre de l'hôpital, aux visages que je voyais tous les jours, et à la texture des bandes de gaze, et je me disais que ce n'étais peut-être pas si mal. Mais ce fut après deux semaines passées dans la colonie que je découvris le revers de la médaille.

Pour la première fois, Ève m'annonça que j'allais pouvoir m'aventurer en dehors des murs. J'étais très heureuse. Cependant, quand je tentai une plaisanterie en demandant si j'aurais besoin d'une escorte de la Garde pour me dégourdir les jambes, on me foudroya du regard. Grandement refroidie, je demandai :

EPIDEMIA - IWhere stories live. Discover now