Chapitre XXXIII : Terre Promise

2.6K 208 63
                                    

Je lâchai les deux oiseaux que j'avais chassé devant Amandine. C'était tout ce que j'avais trouvé, mais c'était probablement suffisant. Nous avions longtemps hésité à nous arrêter pour faire un feu. Nous nous étions finalement entendu sur le fait que nous ne pouvions plus avancer, de peur que nos pieds nous trahissent. Or, sans bouger, le froid aurait pu avoir raison de nous.

Nous étions à une distance raisonnable du camp, la fumée ne se serait probablement pas vue de là-bas.

Il nous avait fallu deux fois plus de temps pour rassembler du bois que pour nous décider, et encore trois fois plus pour réussir à faire partir un semblant de flammes, sans allumettes ni briquet.

Nous ne mîmes en revanche pas très longtemps à plumer, cuire et engloutir les deux oiseaux chassés. Ce n'était pas grand chose, cependant c'était déjà presque trop pour nos estomacs vides. Sauf peut-être pour Ludovic, mais je me demandais si ce garçon avait un jour été rassasié.

Je dormis en plein jour, réveillée de temps en temps par le vent froid ou de simples craquements de feuilles suspects. Ma main droite me servait d'oreiller, la gauche serrait mon couteau, même dans mon sommeil. Quand je me réveillai pour de bon, Ludovic m'affirma que j'avais dormi environ quatre heures, mais j'avais l'impression de m'être assoupie pendant dix minutes au maximum.

Incapable de tenir en place, je me mis à faire les cents pas en attendant que mes amis se réveillent.

"Trouve un truc pour t'occuper, tu me files la migraine", m'ordonna sèchement Ludovic alors que j'effectuais mon vingtième allez-retour.

Je ne répondis rien. Je me forçai à m'immobiliser, me mordis la lèvre et plantai mes poings dans mes poches. Et mes phalanges rencontrèrent un objet métallique, relativement souple. Je dus refermer mes doigts dessus et le tirer de ma poche avant de me rappeler de ce dont ils'agissait.

Le métal terni de la gourmette d'Édith reposait au creux de ma paume. Je sus instantanément ce que je devais faire. Je m'éloignai du feu de camp pour m'enfoncer dans les bois.

"Hé ! m'arrêta Ludovic. Tu vas où ?

-Je vais m'occuper, comme tu me l'as demandé. T'en fais pas, je n'irai pas loin."

Il ne me demanda pas plus de précisions. Il me pria seulement de prendre mon arc. Je lui obéis pour lui faire plaisir et partis enquête d'un endroit agréable.

Je trouvai non loin de notre campement improvisé un petit ruisseau. Un tapis de feuilles oranges s'étalaient sous un grand hêtre dont les racines formaient un réseau complexe à la surface de la terre. C'était un bon endroit.

Je posai mon arc avant de m'agenouiller sur le sol. Je trouvai un emplacement près du tronc où les racines ne gênaient pas. Là, je creusais à mains nues un trou peu profond. J'y laissai tomber la gourmette d'Édith. Alors je contemplai le bijou disparaître sous la terre, je songeai que c'était ce qui ressemblait le plus à une inhumation. C'était tout ce que j'avais pu récupérer de la vieille Auxerroise et j'imaginai que ce serait le seul hommage funèbre qu'on lui rendrait jamais. C'était également le premier que je rendais. Les corps de Fanny, Raphaël, Rosley et de tous mes camarades avait fini abandonnés, quand ils n'étaient pas simplement transformés.

Je décidai donc de considérer ce semblant de tombe comme une sépulture pour tous les morts que j'avais connu, et peut-être plus. Si les cinq chasseurs et le Serpent voulaient se reconnaître dedans aussi, eh bien il y avait de la place...

Je tirai mon couteau de ma ceinture. Je ne l'avais même pas replié et rangé dans ma poche à mon réveil. Je testai la pointe du bout des doigts, fixant le tronc du hêtre devant moi. Je réfléchissais à un épitaphe. Quelque chose de concis, sans fioriture ni signe d'une quelconque religion.

EPIDEMIA - IМесто, где живут истории. Откройте их для себя