Chapitre V : Latent désespoir

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"Un cahier avec une quinzaine de pages restantes seulement, c'est à peu près tout ce qui me reste. Si je devais y écrire tout ce que j'ai à dire, j'aurais de quoi le remplir au moins vingt fois. J'essaye d'écrire lentement. Cela à au moins le mérite de m'occuper. Je tuerai pour quelque chose à faire. Tuer. C'est stupide de dire ça : j'ai déjà tué. C'est parce que nous avons tous tué que nous sommes là. Elles sont belles, les morales. Tuer ou se faire tuer, voilà tout. Ce pourquoi je tuerai surtout, ce serait savoir ce qu'on a fait pour mériter ça. Non. Ce serait revenir en arrière, rien qu'un jour et demi. Tout était tellement bien, et pourtant on trouvait le moyen de se plaindre.

Il n'y a rien à faire dans la salle des profs. Ne rien faire entraîne à l'ennui. L'ennui entraîne au doute. Le doute entraîne à la paranoïa. La paranoïa entraîne à la dépression.

Une escouade hautement "armée" a mené une rapide expédition jusqu'à la supérette et a ramené un peu de nourriture, principalement des aliments secs, qui se conservent assez longtemps. Ainsi, nous n'avons plus faim. C'est de toutes façons en me forçant que j'ai réussi à avaler quelques gâteaux secs.

Les tours de garde ont été raccourcis et s'effectuent à présent par deux. C'est une précaution pour éviter de nouveaux morts.

La batterie de mon téléphone commence à se vider toute seule. Inutile de préciser que personne n'a reçu de message ou d'appel extérieur. D'ici quelques jours, je n'aurais plus qu'à abandonner mon portable.

Notre seule occupation réside en la petite radio, dont nous tentons tout de même d'économiser les piles. Nous l'écoutons quelques maigres heures par jours. Les nouvelles sont rarement ou, pour ainsi dire, jamais bonnes.

Les journalistes racontent le retour d'équipes de secours dépouillées de la moitié de leur effectif, ayant seulement retrouvé deux ou trois survivants. Lorsque les nouvelles sont vraiment trop mauvaises, c'est souvent Étienne qui s'approche du poste pour l'éteindre d'un air rageur et déprimé.

Les minutes se transforment en heures, qui deviennent des jours. Je ne fais même plus la différence. Si on me demande, je jurerais être restée enfermée des mois durant.

Mahdison semble aller un peu mieux. Son pied l'élance moins. Je crois. Notre prof a vraiment une tête de déterré. Le premier jour, il a dû avaler son poids en Doliprane pour faire baisser la fièvre prévue par l'infirmier. En plus de ça, il insiste pour faire ses tours de garde et il ne dors presque pas.

Mais celui que je reconnais le moins, c'est Momo. Il a perdu toute envie de faire quoi que ce soit. Il reste assis dans un coin depuis le suicide de Thomas. Je ne pensais pas que ça l'affecterait autant. Il faut croire que je ne comprendrais jamais ce qu'il a dans la tête.

Je crois que j'ai peur. Je le crois seulement, parce qu'en fait, je ne suis qu'un mélange confus de dizaines de sentiments. Je voudrais tellement sortir."

Lundi. Je réalisais que nous avions vraiment passé un week-end au lycée. Et puis je me répétais juste après que ça n'avait vraiment aucune importance.

Le cahier de brouillon à moitié effeuillé était noirci jusque dans la marge. Je m'étais alors jetée à corps perdu sur le premier livre que j'avais trouvé. La bibliothèque de la salle des profs était particulièrement vide. J'avais parcouru tout les manuels que j'avais trouvé. De la Seconde à la Terminale, de la Philo aux Maths.

Je lisais avec un intérêt simulé un roman classique déniché au fond d'un tiroir.

La Bête Humaine, de Zola. Au moins, c'était un pavé.

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