Chapitre XVII : C'est établi

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"C'est étrange de tenir un stylo. J'ai l'impression d'avoir oublié comment on écrit. Les lettres peinent à se tracer.

Je sais ce que pense les autres. Il ne faut pas s'encombrer de choses inutiles. J'ai simplement trouvé ce cahier en fouillant un bureau. Il était neuf, il y avait un stylo dans un pot à crayons. Ce n'est pas comme si ça prenait beaucoup de place. J'ai besoin d'écrire. C'est peut-être un besoin que je me crée. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de les prendre. Alors je rédige cet espèce de journal pendant mes tours de garde. Les autres dorment, c'est bien. Au moins ils ne voient pas les dizaines d'expressions qui traversent mon visage à mesure que j'écris. En fait, cela ne me sert probablement à rien. J'ignore s'il faut ressasser les horreurs que nous avons vécu en les couchant sur du papier ou si au contraire ça peut m'aider à extérioriser tout ce que je tente de dissimuler tant bien que mal... En attendant, ça m'occupe.

Il s'est écoulé deux mois depuis que tout à commencé. Quand on l'écrit, ça ne semble pas beaucoup. Mais j'ai l'impression que ça fait une éternité.

Nous avons récupéré des munitions. La gendarmerie avait été pillée entre temps. Alors nous avons pris tout ce qui traînait, jusqu'à ce que nos sacs ne puissent plus rien contenir. On fait de même dès qu'on tombe sur un magasin ou une maison dont on a pas déjà pris la totalité de ce qui est utilisable.

On ne trouve pas souvent d'eau non-plus. On se rationne du mieux qu'on peut et on prie pour qu'il pleuve...

Il y a des fois où je lève les yeux. L'été approche. A moins qu'il ne soit déjà installé, j'ai perdu le compte exacte. Le ciel est bleu, le plus souvent. Et c'est bien la seule chose qui n'a pas changé. La nature reprend ses droits, puisque plus personne ne tond les pelouses, ne taille les arbres...

Nousnous avons changé. J'en suis consciente. Les autres aussi. Personne n'en parle, mais c'est établi. De la même manière que personne ne parle plus de la Seconde 1, de Rosley ou d'Axel, c'est établi. La plaie a seulement cicatrisé autour du couteau. La douleur est moins présente, mais elle n'est pas oubliée. Qu'est-ce que nous pouvons faire ? Ça fait longtemps que nous avons abandonné l'idée de rêver au passé. Ou du moins, que nous n'en parlons plus. Il m'arrive de penser à avant. La manière dont tout était bien, propre et vivant. La manière que nous avions de rire, de penser à des choses insensées. La manière que nous avions de ne pas sortir armé, parce que c'était notre seule chance de survie. Il y a des fois où je voudrais tout laisser tomber et m'égorger d'un coup de couteau. Mais je serai tellement indigne de mes amis...

Mon tour de garde va se terminer. J'ai mal à la main, à force de serrer mon stylo entre mes doigts. Je vais juste aller dormir, je reprendrai la nuit prochaine. Je suis fatiguée."

Le dernier point posé, je fermai mon cahier et le rangeai avec mon stylo dans mon sac, au pied de ma chaise.

Je tournai mon regard vers Ludovic, qui dormait à poings fermés dans un canapé vert, installé au beau milieu du salon de la maison que nous avions "fortifié" pour la nuit. Je me promis de ne pas le réveiller tout de suite. Il avait autant besoin de dormir que moi. Nous avions tous beaucoup trop d'heures de sommeil en retard.

•••


J'ouvris un placard poussiéreux.

Vide. Cela ne m'étonnait même plus. Nous avions vu tellement de maisons déjà pillées qu'un énième placard ne pouvait plus empirer mon humeur déjà massacrante. Mais les réserves s'amenuisaient, et la dernière chose que je souhaitais était de nous retrouver affamés. Nous n'avions pas besoin de cela en plus...

EPIDEMIA - IDonde viven las historias. Descúbrelo ahora