Chapitre XXVI : La goutte d'eau

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Je regardais le sang du Serpent se déverser sur la terre, tandis que les pas d'Axel s'éloignaient. "Bien fait pour lui !" criait une partie de moi-même que je voulais étouffer à cause de son ignominie. "Bouge-toi, fais quelque chose, enfin !" tonnait l'autre moitié, à laquelle je ne pouvais donner raison pour autant, car c'était moi, et simplement moi qui avais demandé à aider à commettre ce meurtre.

Je demeurai immobile, tiraillée entre ces deux extrêmes, prête à fondre en larmes ou à me laisser emporter par une rage sans précédent.

Je levai les yeux, pour échapper au pesant spectacle qui se jouait à mes pieds. Sur les toits, se découpant sur un ciel gris, il ne restait qu'Amandine. Étienne et Ludovic étaient redescendus. Je constatai que mon amie me regardait moi, et pas le monstre agonisant.Elle devait se demander ce que je fichais, à rester paralysée ainsi. Ou bien elle aussi, comprenait-elle le dilemme qui me déchirait ?

"Vous comptez lui infliger l'humiliation de votre présence jusqu'à la fin ?" aboya la voix lointaine d'Axel.

Je ne daignai pas me retourner pour voir s'il en avait fait de même. Je m'approchai du corps blafard. Le Serpent était peut-être plus un cadavre qu'un être humain, en cet instant. Je ramassai le couteau qui avait causé sa propre perte et lui remis dans la main. C'était un geste stupide, je le savais. Cette arme ne l'épargnerait de rien, surtout pas des charognes humanoïdes qui rôdaient.

Les yeux du mourant tenaient encore cette lueur de vie, celle qui s'éteint la seconde d'après. Je compris que si j'avais quelque chose à dire, c'était le moment ou jamais...

Mais rien ne me vint. Rien d'intelligent, rien que je n'eusse regretté par la suite.

C'était ma dernière chance, et je l'avais laissée passer. Les orbites du Serpent n'étaient plus que des surfaces vert-jaune vitreuses.

"Pardon, murmurai-je. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça."

Arrête Héloïse, ne lui inflige pas ça en plus ! Il était mort, de toute façon ! Oui, ce type avait commis des horreurs telles que je ne pouvais y repenser sans avoir envie de le frapper. Mais il ne méritait pas un sort pareil. Personne.

Je cherchais en l'air à rencontrer le regard d'Amandine. Mais il n'y avait plus au dessus des toits qu'une étendue de ciel gris pâle.

Je me sentais seule.

•••


Mes chaussures trempaient dans un liquide étrange, mais familier. Je l'avais bien trop vu, ce liquide, mais je ne parvenais jamais à mettre de nom dessus. Les ondulations que produisaient mes pas me renvoyaient mon reflet, déformé. J'y admirais longuement les jeux de lumière, avant que mon esprit me rappelle qu'il faisait noir. Il faisait toujours noir, et pourtant je voyais toujours ce qu'on voulait que je vois. C'était plus commode. Je levais les yeux, alors que je savais déjà qui était en train de me fixer. Mais cette fois, ils étaient deux. Le premier, je le connaissais par cœur, il me rendait visite toutes les nuits, j'avais l'impression de le connaître comme moi-même. Mais le second était physiquement différent, et nouveau. Ou peut-être ne l'était-il pas... Tous deux me souriaient, à travers le masque de liquide rouge qui peignait leurs visages comme il peignait le sol. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais jamais vraiment cet univers, de toute façon. "Bonjour", me disait le premier. Il parlait rarement, je remarquais, mais cette fois, il m'adressait la parole. Je répondais. Et puis il perdait son sourire. "Tu n'as pas pu t'empêcher de recommencer, hein ?" Je lui demandais d'expliquer. "Je croyais que tu avais compris la leçon, et regarde-le maintenant." Je regardais le second, sans comprendre. "Recommencer quoi ?" je questionnais. "Recommencer tout, recommencer moi, et lui." "Arrêtez, bon sang !"... Sang. C'était ça. Ce dans quoi je pataugeais, ce qui les couvrait... "Ils seront bientôt des légions", disait le second. Derrière lui, des centaines de silhouettes étiraient leurs visages ensanglantés vers moi. "Et après, ce sera ton tour, gamine", disait le premier. "Deviens ce qui te traque, pas vrai ?"

EPIDEMIA - IWhere stories live. Discover now