Chapitre IX : Les héros n'existent pas

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Assise dans le lit, je mordis mon poing pour m'empêcher de crier et de réveiller Fanny et Amandine. Je finis par retomber sur le matelas, la respiration hachée. J'aurais voulu pleurer. Mais je m'étais jurée de rester forte. Et puis, je n'avais rien à pleurer

Mes rêves étranges, bercés de fantaisie et de poésie, avaient été remplacés par des cauchemars qui semblaient vouloir me torturer. Comme si les images du cadavre de mon frère n'étaient pas assez fraîches dans mon esprit, il fallait que mon subconscient en remette une couche...

Le réveil à cristaux liquides indiquait en chiffres rouges "03:28". Mon tour de garde ne commençait que dans un quart d'heure environ. Cependant, je n'aurais sûrement pas parier sur ma capacité à me rendormir à cet instant. Et même si j'avais pu, je n'aurais pas souhaité retourner à l'inconnu effrayant de mon sommeil. Je repoussai le drap, enfilai mon sweat, ramassai mon sac et mon pied de biche et descendis.

Dans le salon, je distinguai la silhouette d'Étienne étendu dans le canapé. Il dormait à poing fermé. Si je me rappelai bien, c'était alors le tour de garde de Rosley. Il ne semblait être nulle part dans la maison. J'optai alors pour l'extérieur.

Je me figeai une seconde devant la porte d'entrée, la main sur la poignée. La conversation de la soirée m'était revenue en tête bien malgré moi. Étais-je sûre de supporter une conversation avec mon prof d'Histoire maintenant ? Je me persuadai que ces craintes étaient ridicules, et que dans le pire des cas, je risquai beaucoup moins à sortir que lui à rester avec moi... J'ouvris alors la porte.

Il était bien là, appuyé contre la façade. Il tourna la tête vers moi en m'entendant sortir. Dans le soir à peine éclairée d'un réverbère lointain et de milliards d'étoiles, je le vis relever la manche de sa chemise bleu nuit et regarder sa montre.

"Vous savez que votre tour de garde ne commence que dans dix minutes, pas vrai ?

-Je sais."

Il avait comme un tic nerveux qui lui faisait porter sa main à sa blessure par intermittence. Il avait dû essayer de changer le bandage lui-même, ou même pire...

Un silence assourdissant régna pendant un long moment. Il n'avait pas envie de parler. Moi si. Mais avec toutes les questions qui se pressaient dans ma tête, je n'aurais pas su être cohérente. M'aurait-il seulement répondu honnêtement ? Peut-être bien, après tout il se moquait royalement de ce qu'on pensait. Il fallait pourtant absolument que je lui demande quelque chose...

Ce fut ainsi que quand son tour de garde fut terminé, quand il me souhaita une bonne nuit et quand il s'apprêta à rentrer, je m'écriai subitement.

"Attendez !"

Il se figea et me fit face.

"Est-ce que je peux vous poser une question ?"

Il haussa les épaules, l'air de dire "Allez-y toujours...". Ok, je devais trouver quelque chose, et vite. La première question qui me vint était beaucoup moins agressive et piquante que ce que j'espérais.

"A partir de quand un acte est-il un sacrifice ?"

Mon prof principal me dévisagea, perplexe. Il ne s'attendait visiblement pas à ça. Et moi non plus. Il sembla prendre son temps pour réfléchir à cette interrogation. Et moi, je me maudissais. Parmi les milliards de questions qui bouillonnaient dans mon esprit, j'avais choisi la moins utile. Peut-être même la pire à poser à ce type...

"Je suppose que c'est à partir de moment où cet acte coûte beaucoup à la personne qui le fait, répondit-il.

-Tuer mon frère n'était pas pour vous un sacrifice."

EPIDEMIA - IWhere stories live. Discover now