Chapitre XXIV : Plus d'une corde à son arc

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Nous avions des munitions pour abattre des dizaines de zombies. De l'eau et de la nourriture pour tenir un mois. Des médicaments pour ressusciter un macchabée. Et pourtant, je ne m'étais jamais sentie aussi vide en quittant une maison. C'était comme si je laissais une part entière de moi-même à l'intérieur. Mais il fallait marcher. Partir et abandonner cet endroit. Revenir à la rue paraissait dérisoire. Qu'allions-nous y faire ?

Deux semaines particulièrement fraîches avaient succédé à la chaleur des jours précédents. Du moins, je supposai que cela faisait deux semaines. J'avais perdu le fil il y avait de cela des mois, tout me semblait flou. Je commençais à me dire que l'automne s'approchait. Nous devions être fin août, ou bien début septembre. L'été n'avait pas été caniculaire. Le genre d'été qui aurait fait regretté une location très coûteuse au bord de la mer, plutôt orageux. Je me demandais où ma famille serait partie. Ma mère aurait trouvé un bon plan pas cher dans un coin sympa trois semaines avant de partir, comme à son habitude. La mer ? La montagne ? Peut-être que pour la première fois, nous aurions pris l'avion, direction la Grèce ou l'Italie. Puis je me rappelais que mon père n'aimait pas la chaleur estivale. Peut-être que nous serions seulement allé sur la côté Atlantique, par soucis de compromis.

Cette histoire de vacances avait été consignée dans mon cahier, que j'avais fini par baptiser officieusement journal, mais auquel je refusais d'accorder l'adjectif "intime" parce qu'il reflète aussi bien mes propres idées que la pensée collective inavouée. C'était juste un journal. Comme si j'écrivais pour la postérité. Comme si un jour, quelqu'un découvrirait sur mon cadavre ce cahier griffonné la nuit à la lueur d'un feu et le lirait comme les vestiges de ce que c'était, au début.

Je levais les yeux vers un arbre. Les feuilles étaient déjà jaunes. Prématurément prêtes à mourir. Comme nous. Nous n'étions que des feuilles. C'était une réflexion singulièrement poétique pour la situation. Mais j'avais appris à ne pas les refouler car elles se montraient rares, alors que finalement, elles m'étaient utiles. Pour tenir.

"Hé, arrête de rêver !"

La voix d'Amandine m'arracha à mes songes éveillés. Je me demandais si elle aussi était parfois interrompue par des rêveries impromptues. Si elle pensait à ce qu'elle aurait fait cet été. Si elle cauchemardait, la nuit. Ce n'était pas quelque chose que l'on partageait entre-nous. Quelqu'un qui n'aurait pas vécu les événements de ces trois derniers mois et demi aurait pris cela pour de l'égoïsme. En fait, c'était tout l'inverse. On n'inflige pas ça à ses amis. Ni le passé, ni nos cauchemars, ni même nos idéaux.

"J'arrive", répondis-je alors.

Nous cherchions un endroit pour rester plus longtemps. Nous avions de quoi tenir un moment, et nous nous étions lassés d'arpenter sans relâche les rues.

L'avantage (et c'était peut-être le seul) de n'être plus que quatre, c'était qu'immédiatement, le moindre studio nous paraissait être un palace trop grand pour habiter toutes les pièces.

Alors pourquoi faisions nous la fine bouche, à ne jamais juger un appartement assez bien ? Nous trouvions toujours des prétextes comme "je n'arriverais jamais à dormir avec un tel papier peint autour de moi", mais dans le fond, on savait tous que nous voulions simplement nous écarter le plus possible des maisons du centre-ville, où nous avions tué, où nous avions souffert, où certains étaient morts... Nous visions un endroit plus éloigné sans se l'avouer.

Et nos pas nous menèrent jusqu'aux HLM, plus en périphérie de la ville. Nous étions en pleine discussion très animée pour savoir quel immeuble visiter en premier quand Ludovic nous fit signe de nous taire. Il désigna du doigt une silhouette qui courait jusqu'à un immeuble plus loin, ouvrit la porte à la volée et s'engouffra à l'intérieur. Impossible de savoir qui elle était. Mais une chose était sûre, ce n'était pas un zombie, pas même un Coureur. Ces derniers ne couraient pas sans but, ils poursuivaient toujours une proie. Et surtout, ils n'ouvraient pas les portes. Ils les enfonçaient, les démontaient sauvagement ou s'assommaient dessus mais ne les ouvraient pas.

EPIDEMIA - IWhere stories live. Discover now