Chapitre I : Transformer une journée banale

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Ce vendredi après-midi, nous enchaînions deux heures avec M. Rosley en salle R121. Il régnait dans la classe une certaine lenteur qu'on aurait pu aisément associer à la fatigue de fin de semaine, au grand dam du prof. Son regard aux prunelles sombres passait sur nous, nous sondait, probablement, tandis qu'il dictait son cours.

"Suite à la révolution agricole du XIe siècle, les techniques agricoles évoluent. On constate le début de l'utilisation de la charrue, le développement des outils agricoles en fer..."

Décollant mes yeux de mon cahier, j'échangeai un regard ennuyé avec Amandine. Elle eut un sourire en coin significatif et j'écrivis la fin de ma phrase sur ma page déjà à moitié noircie d'encre. Tapotant le bout de mon stylo-plume sur ma trousse, je regardais, sans grand intérêt, Rosley qui expliquait des détails de l'époque avec des gestes des mains.

Mon téléphone était éteint, impossible de consulter l'heure discrètement. Je supposais qu'il devait être environ treize heures vingt, le cours n'avait pas débuté depuis très longtemps.

Le professeur interrogea Michael qui ne comprenait pas une de ces énonciations.

A la table devant celle d'Amandine, il y avait Axel Marois. Je le voyais tourner un de ses stylos aux couleurs flashy entre ses doigts et rigoler un peu bêtement en regardant Étienne Debran, juste à côté.

A l'autre bout de la classe, la main de Julie jaillit de la masse de visages penchées.

"Oui ? demanda Rosley.

- Est-ce que je peux aller aux toilettes, s'il vous plaît ?"

L'agacement du prof était palpable. Il semblait se retenir de dire quelque chose de méchant.

"Non, rétorqua-t-il simplement. Il fallait y aller avant. Vous irez après le cours..."

Julie baissa la main d'un air piteux et reprit son Bic. Notre interlocuteur se pinça l'arrête du nez, cherchant où il en était resté avant d'être coupé.

Il s'était écoulé à peine plus de dix minutes quand un grand bruit retentit dehors. Ça ressemblait au bruit d'un objet énorme qui tombe par terre.

Tout le rang le long des fenêtres regarda au-dehors. Certains se levaient pour voir par dessus les crânes des autres.

Intriguée, mais bien trop loin des vitres, je me tournais naïvement vers Amandine qui m'adressa un haussement d'épaule, signe de son incompréhension. D'après les têtes d'Axel et d'Étienne, les deux compères n'étaient guère plus avancés que nous.

Un murmure se répandit dans la salle. Rosley, voyant qu'il n'aurait pu faire revenir tout le monde à sa place, croisa les bras d'un air réellement énervé.

Et puis, à l'extérieur, on entendit un cri. Long et déchirant, arraché probablement d'une gorge féminine. Dans la seconde qui suivit, tout le groupe aligné devant la fenêtre se recula dans un mouvement uniforme, avec des exclamations étouffées.

Notre curiosité piquée au vif, Amandine et moi nous levâmes pour enfin voir se qui se tramait dehors. Nous étions imités par toute notre rangée, et même par le prof. Le cri strident avait plongé la salle dans un silence angoissé et les doigts de mes camarades semblaient se crisper sur les vitres.

Néanmoins, le hurlement avait laissé sa place à des sortes de grognements qui s'élevaient dans l'air comme une longue plainte monocorde.

Tout s'enchaîna alors étrangement vite.

Je fus bousculée par Karla, Maéva, Clarisse et Amélie qui sortirent en trombe de la classe. Une ribambelle d'autres les suivirent, parmi lesquelles on comptait Pauline, Lisa, Gaël, Léna, Manon, Clotilde et une demi-douzaine d'autres. M. Rosley, qui ne devait pas comprendre plus que nous, leur criait de revenir, était à deux doigts de les menacer pour qu'ils reviennent. Thibault, qui sortait en dernier et dans les yeux duquel je voyais pour une fois de violentes émotions, se retourna pour lui répondre :

EPIDEMIA - IWhere stories live. Discover now