— Est-ce que vous l'avez vue ? demanda celui-ci alors qu'ils arrivaient en vue des maigres bois.

— Vu quoi, Untersturmführer ? Ou qui ? Soyez plus précis, dit Meyer de son habituel ton impatient.

— Et bien, la jeune fille qui est venue rendre visite à l'Hauptsturmführer von Falkenstein ici présent, précisa-t-il en restituant son nom de famille avec un détachement factice.

— Ah, dit la Sœur DeWitt avec un sourire attendri. Je l'ai vue, moi ! Elle s'appelle Adehlaïde.

— Et bien moi aussi, je l'ai vue, ajouta Meyer en adressant un regard en biais aux deux à l'arrière. Et donc ?

— Elle est parfaite, vous ne trouvez pas ? dit l'autre en fixant l'extérieur du véhicule, une main sous menton. Ce blond, vraiment exceptionnel. Une constitution harmonieuse bien que manquant de robustesse. Un crâne purement germanique. Des yeux clairs écartés comme il le faut !

— Une bouche dénotant une flagrante absence de toute fente labio-palatine, marmonna von Falkenstein entre ses dents serrées et sans se retourner, déjà lassé par ce qu'il venait d'entendre.

— Qu'est-ce que vous avez dit ? s'intéressa l'Untersturmführer Siegler d'une voix polie.

— Je n'ai rien dit.

— C'est drôle, j'ai cru entendre quelque chose, pourtant, répondit-il avec un léger rictus. On devrait la breveter, cette Adehlaïde, vous n'êtes pas d'accord ? Ou la mettre dans un livret, au moins. Combien mesure-t-elle ? Est-ce que je pourrais vous l'emprunter ? Je souhaiterais en faire un exemple.

— L'emprunter, répéta la Sœur DeWitt comme en écho. Vous exagérerez, ce n'est pas un livre, tout de même.

Il préféra garder le silence. Il valait mieux réduire la conversation au strict minimum, avec celui-là ; déjà qu'il avait le don de mettre ses nerfs à rude épreuve en temps normal, voilà qu'il se mettait à déblatérer sur elle et il n'avait absolument aucune envie d'en parler – même pour débattre d'hypothétiques qualités raciales ou s'extasier en toute innocence sur la pigmentation de sa chevelure.

— Quel silence assourdissant, commenta Siegler. Ça ne vous ressemble guère, Herr SS-Hauptsturmführer. Vous avez passé une mauvaise nuit, peut-être ?

— J'étais de garde, répondit-il.

— Oh, bon. Il ne me semble pas vous avoir vu sur les registres, pourtant.

— J'ai fait du volontariat.

— Vous entendez ça, Herr SS-Sturmbannführer ? Von Falkenstein volontaire de garde. Ce n'est plus arrivé depuis quoi, mille-neuf cent trente-sept au moins ? Si j'étais vous, j'en informerais immédiatement notre colonel. Ce genre d'acte héroïque mérite au moins une seconde Croix de Fer.

— C'est vrai que ce n'est pas très fin, d'éviter les gardes, commenta Meyer sans pour autant sourire à la tirade ironique de son collègue. Tout comme les sessions de sélection. Les services sanitaires, ce n'est pas du travail à la carte.

— Si vous comptez me refaire passer une commission de discipline, attendez la semaine prochaine, Herr SS-Sturmbannführer, dit-il en ouvrant la fenêtre afin de ne pas enfumer tout l'habitacle. J'ai eu mon quota pour celle-ci.

— C'est drôle ça, dites-moi, rétorqua Meyer en se déridant tout de même un peu. Je ne les aime pas non plus, les sélections ! À la limite, je préfère les maisons closes. Quitte à voir du génital, autant qu'il soit féminin.

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