NEUVIÈME PARTIE

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CHAPITRE UN

« J'ai peut-être guéri d'une certaine façon, sans m'en apercevoir. »

* * *

C'est ainsi qu'une année entière s'écoule sans que j'entende parler de Kirsten et Nathan. Parfois, je repense à l'appel de Kirsten. Ils ont dû rompre. La pauvre. Je plains toutes les personnes qui sont tombées amoureuses de Nathan. Non pas que ma situation sentimentale soit plus glorieuse que la sienne. J'ai rebaptisé le début de ma deuxième année à l'université « la période du plan foireux ».

Trois garçons différents m'ont proposé un rendez-vous dès la semaine de la rentrée. Michael, un étudiant de troisième année très mignon, se révèle au bout de compte falot et étouffant. Le second, qui est en deuxième année comme moi, est guitariste dans un groupe tellement mauvais que c'en est embarrassant.

Le troisième, un informaticien que j'ai rencontré à Village Books, est plutôt beau garçon. On va jusqu'à échanger un baiser — ce qui me rappelle à quel point c'est agréable de recevoir de l'affection — mais au bout du compte, ça ne fonctionne pas non plus.

Je n'ai pas sitôt tourné la page que de nouveaux prétendants apparaissent. Je suis un peu décontenancée. Je n'avais jamais été populaire avant. Jamais des garçons ne s'étaient bousculés autour de moi avec des étoiles plein les yeux. C'est pourtant ce qui m'arrive maintenant.

Soit je ne le remarquais pas avant, soit j'ai tout simplement arrêté d'être toxique pour les autres. J'ai peut-être guéri d'une certaine façon, sans m'en apercevoir.

Il y en a un dont je ne me plains jamais de recevoir des nouvelles : Simon. Il commence à m'envoyer des mails à l'automne et on se parle au téléphone de temps à autre. Une véritable amitié naît entre nous et il est la première personne que j'appelle en rentrant chez mes parents pour les fêtes de fin d'année.

On se donne rendez-vous à Nordstrom deux jours avant Noël. On s'installe au café à l'étage, au milieu des vieilles rombières, et on discute gaiment de nos vies d'étudiants. Ses amis préparent une grosse fiesta pour le Nouvel An et il veut que je vienne. Je lui dis :

— Tu te souviens que je ne bois pas, hein ?

— Et alors ? Moi non plus, je ne bois presque pas. Surtout le soir du Nouvel An. Je déteste le champagne.

Je souris. Simon est génial. Il a le don pour prononcer les paroles qu'il faut au bon moment. Et s'il devenait mon premier petit-ami de l'université ? Gina n'arrête pas de me répéter qu'il faudra que je finisse par aimer quelqu'un.

On remonte côte à côte le trottoir devant Nordstrom. Il fait froid. Quelques minuscules flocons de neige flottent au-dessus de nos têtes. Des guirlandes de Noël brillent sur les réverbères.

Je ressers ma queue de cheval et je réajuste ma veste. Simon enfile ses gants. C'est alors que j'aperçois un petit groupe de zonard de l'autre côté de la rue, sur Pioneer Square. Il y a Jeff Shit parmi eux. Enfin, je crois. Je ne vois pas très bien. Je repère une autre silhouette familière. Un grand type maigre. Je ne distingue pas son visage mais son allure me rappelle quelque chose...

— On va s'éclater, me dit Simon. Et je voudrais que tu rencontres mes potes. Tu vas adorer Josh et les autres.

Tout en scrutant le jeune homme sur le trottoir d'en face, je réponds d'un ton distrait :

— Oui, je suis sûre que ça va être sympa.

— Qu'est-ce que tu en dis ? Tu viens ?

Soudain, le mystérieux garçon se tourne vers nous et la vérité me frappe.

C'est Nathan.

J'en ai le souffle coupé. Nos yeux se croisent. On est si choqués et surpris tous les deux qu'on reste figés sur place. Mon coeur fait un bon dans ma poitrine. J'ai envie de courir vers lui et de me jeter à son cou. Mais il a tellement changé — ses cheveux sont teint en blond et encadrent un visage creusé et émacié. Il porte un manteau sale. Une bouteille de whisky bon marché dépasse de sa poche.

Je suis gênée. Horrifiée. Je ne sais ni comment réagir ni où poser le regard. J'ai l'impression que mon coeur a cessé de battre.

— Kaylee ? Fait Simon. Qu'est-ce qu'il y a ?

Je dois m'en aller. Je pivote sur mes talons et je pars dans la direction opposée. Je marche à toute vitesse, sans même m'arrêter au feu. Une voiture pile en klaxonnant.

Simon se faufile au milieu du trafic pour me poursuivre. Il jette des coups d'oeil autour de lui pour essayer de comprendre ce qui vient de se passer.

— Kaylee ! Hurle-t-il. Kaylee ! Attends !

Je l'entends me courir après. Sans ralentir, je lui crie :

— Je dois rentrer. J'ai un truc à faire, j'avais oublié.

— Qu'est-il arrivé ? Quel est le problème ?

Je continue droit devant. Je suis à deux doigts de fondre en larmes. À l'intersection suivante, j'aperçois le SUV de ma mère. Je sèche mes larmes avec les manches de ma veste tandis que Simon me rattrape enfin.

— Kaylee...?

— Ce n'est rien. Je vais bien. Excuse-moi.

— Non, ce n'est pas grave, dit-il essoufflé. Tu m'as fait peur.

— Je dois m'en aller.

Je déverrouille ma portière en m'essayant à nouveau les yeux.

— Sérieusement, Kaylee. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu peux m'expliquer ?

— Je te rappellerais au sujet de la fête.

Là-dessus, je monte dans ma voiture et je claque la portière. Comme Simon me fixe toujours d'un air stupéfait, je baisse la vitre et je lui dis :

— Je suis désolée. Parfois, j'ai des coups de stress pendant les vacances.

Quoique déconcerté, il semble accepter mon explication. J'allume le moteur et il recule de quelques pas.

— Tu me téléphoneras ? Demande-t-il.

Je hoche la tête et j'attends qu'il s'éloigne en faisant comme si j'allais démarrer.

Une fois qu'il a disparu, je coupe le contact. J'appuie mon front sur le volant. Je ferme les paupières, je respire à fond et je tente de donner du sens à ce que je viens de voir.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant