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CHAPITRE CINQ

« D'habitude, les gens normaux ne m'aiment pas. »

* * *

Puisque nous sommes maintenant meilleures amies, Laura me propose de me présenter deux garçons qu'elle a rencontré au cours de l'été dans les îles San Juan.

Paul, celui qui lui plaît, et son ami Simon sont en Terminale sur la côte Est. Ils sont de passage à Portland avec le père de Paul pour se renseigner sur Reed College et d'autres universités de l'Ouest.

Paul et Simon nous ont donné rendez-vous dans le hall du Hilton. Paul est beau et bronzé, avec des cheveux bruns frisés. Il arbore une chemise blanche et un jean bien repassé.

— Désolé pour la chemise Brooks Brothers, s'excuse-t-il d'emblée. Mon père m'a obligé à l'enfiler — apparement, il fallait s'habille chic quand on allait visiter des universités en 1982.

Simon, lui, porte un t-shirt par-dessus son jean. Il a des cheveux mi-long, blond foncés. Très poliment, il se lève pour nous saluer, puis se rassoit en même temps que nous. On parle des études pendant un moment. C'est drôle de constater que les lycéens habitant à l'Est veulent étudier à l'Ouest, et vice-versa.

Je débite tout un speech à propos des écoles de l'Est, si vieilles, si réputées et pleines de traditions, en ajoutant que je donnerais n'importe quoi pour être acceptée dans l'une d'elles. Simon et Paul s'esclaffent. Ce monde est exactement cela auquel ils essaient d'échapper.

Paul, qui a la carte bleue de son père, nous invite dan sun resto luxueux. Il engage une grande conversation avec le serveur au sujet des vins locaux — lequel choisir, quelle millésime, quel vignoble, quel château — tout ça pour que ce dernier finisse par nous demander, avec beaucoup de dignité, nos dates de naissance.

Du coup, pas de vin.

Laura est enchantée, bien sûr. Paul et elle se montrent de plus en plus complices. Au Starbucks, ils ne peuvent s'empêcher de se frôler au comptoir pendant qu'ils se moquent des CD de développement personnel.

En sortant du café, on se balade en ville. Sur Pioneer Square, Paul emprunte un skateboard à un gars confiant et il décale le trottoir avec. Laura lui court après en hurlant à pleins poumons tandis que Simon et moi, on reste en arrière avec leurs tasses de latte en main.

Au bout de la rue, Paul tombe sur les fesses. Laura l'aide à se relever avant de monter sur le skateboard. Elle se casse la figure à son tour mais Paul la rattrape. Le contact se prolonge et il a l'air d'apprécier — je dis à Simon :

— J'ai l'impression qu'il y a une étincelle entre eux.

— Une étincelle ? Une flamme, oui !

On les regarde se soutenir mutuellement sur le skate. Et ça se caresse, et ça se pelote, et ça glousse... puis ils s'embrassent.

— Bon, fait Simon, à mon avis, ils en ont pour un moment.

On s'assoit sur un muret en briques. J'en profite pour examiner Simon de plus près. Il est plus beau que je ne croyais.

— Alors, tu vas étudier quoi à l'université ?

— La philo, me répond-il.

— Ah bon ? Pourquoi ce choix ?

— J'aime bien confite. Et toi ?

— Je ne sais pas. La littérature, peut-être. J'adore lire.

— C'est sympa, la lecture.

— Ça m'intéresse de suivre le fil de pensées d'un auteur.

— Oui, moi aussi. Le mieux, c'est quand tu lis une phrase qui correspond exactement à ce que tu ressens depuis toujours, sauf que tu n'avais jamais réussi à trouver les mots pour l'exprimer.

— Et certaines descriptions dans els romans ? Au début, tu ne comprends pas. Mais après, tu te dis : « Ah, mais oui ! »

— Absolument, acquiesce-t-il, rien de tel qu'une bonne métaphore.

On reste assis en silence un moment, à s'observer du coin de l'oeil.

J'ai l'intuition que je lui plais. C'est bizarre. D'habitude, les gens normaux ne m'aiment pas.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ