SEPTIÈME PARTIE

11 1 0
                                    

CHAPITRE UN

« Une demi-heure plus tard, je suis franchement soûle. »

* * *

Et je rebois.

Voilà exactement comment c'est arrivé. Au milieu de l'été, Paul, le copain de Laura, débarque en ville. Laura étant en vacances, on se donne rendez-vous et on décide d'aller à une fête dont il a entendu parler, chez les étudiants de l'université de Reed — une université privée de Portland hyper sélective.

Il y a une tonne d'alcool et d'autres substances qui circulent, mais je ne suis pas mal à l'aise. Je ne me sens pas spécialement vulnérable. Ce n'est qu'une soirée, après tout.

À un moment donné, je suis en train d'écouter quelqu'un raconte rune histoire drôle quand un type se pointe avec quatre grandes bouteilles de bières à la main. Il est à deux doigts de tout lâcher. Histoire de me rendre service, tout le monde se précipite pour en attraper une. Dont moi. Mon voisin porte directement la sienne à sa bouche et avale une grande gorgée.

En face de moi, un autre garçon fait la même chose. Alors je les imite. On agit de concert, tel un banc de poissons qui se tournent en semble, ou une nuée d'oiseaux qui décollent pile au même instant.

Au début, j'ai l'intention de boire quelques gouttes seulement, de faire semblant pour sauver les apparences. Parce que je passe une bonne soirée, que c'est l'été et que j'en ai envie.

Mais lorsque mes lèvres se posent sur le goulot, je change d'avis. Je laisse un peu de bière couler dans ma gorge. Ce goût m'est tant familier que ça me paraît naturel d'y retourner, de prendre une vraie lampée. Ça pique un peu et ça me brûle une seconde. En baissant la bouteille, je lâche un rot. Les autres me regardent bizarrement. L'étudiant quo partageait avec nous son anecdote marrante s'exclame :

— Tiens ! Tu aimes ça, on dirait !

Je le regarde avec des yeux inexpressifs, avant de lever le coude et de descendre une grande rasade. Ensuite, juste pour rire, je vide la bouteille. Je termine ma démonstration sur un deuxième rot.

Tout le monde trouve ça très amusant. Je me demande pourquoi. D'ailleurs, je m'en fiche. Je tends la main et je m'empare de la bière de mon voisin de droit en m'écriant d'un air comique :

— Donne-moi ça, toi !

J'en siffle la moitié avant de la lui rendre. Les autres se bidonnent — c'est si drôle que ça ?

Je leur tourne le dos et je m'éloigne. Je réalise peu à peu ce que je viens de faire. J'ai bu de l'alcool, ce qui ne m'arrive plus jamais. Je ne peux pas me le permettre. On m'a interdit à vie d'y retoucher. Tant pis.

J'aperçois un gobelet rouge en plastique par terre. Je le ramasse en me dirigeant vers le perron. Où est passé Paul, bordel ? Il a dû croiser une fille. Je lui en veux. Il n'aurait pas dû me laisser seule, surtout à une fête où je ne connais personne. Je décide que tout est sa faute.

Je m'assois sur les marches dehors. J'ai bu. La portée de mon geste me frappe enfin. J'ai mal au ventre mais je me sens légère et détendue. C'est une impression agréable, même si je sais ce qu'elle a d'artificiel. J'ai chaud, je suis bien, détachée, heureuse, à l'aise. Je veux pas gâcher ce moment — je veux en profiter.

Et si je buvais plus ? Je suis presque bourrée, ce qui n'est pas drôle. Quitte à me faire engueuler, autant y aller à fond, autant en avoir pour mon argent. Je finis le vin. Je regrette de ne pas avoir de cigarette ou de pétard pour m'occuper les mains. Pourtant, je n'ai jamais aimé fumer.

J'ai dû fumer deux fois par le passé, des jours où j'étais vraiment dépouillée. Il n'empêche que si quelqu'un avait de l'herbe, ça serait cool. J'avale les dernières gouttes de vin et je retourne à l'intérieur.

Je renifle l'air en quête de shit — j'en ai flairé plus tôt. Évidemment., maintenant, plus personne ne fume.

Je vais dans la cuisine et je trouve une bière dans le frigo. Je dévisse la capsule. J'avais oublié la sensation des petits bords en métal qui s'enfoncent dans la paume quand on tourne. Je porte la bouteille à mes lèvres et je bois, sans me presser cette fois, en dégustant, en me concentrant sur le liquide qui coule sur ma langue et dans ma gorge.

J'adore ça — ce goût, cette odeur. Je savoure chaque goutte, puis je laisse retombe mon bras et j'éructe. Quelqu'un me parle, je crois. Je n'entends pas. Je n'entends plus. Je suis devenue insensible, dure comme de l'acier. On ne me dit rien, à moi. Kaylee le pit-bull n'a pas de patience pour les bavardages inutiles. Subitement, tous ces gens qui s'éclatent autour de moi m'énervent. Crétins d'étudiants de Reed... et où est Paul, bon sang ?

Je sais ce dont j'ai besoin. De Jack Daniel's. Je commence à fouiller parmi les bouteilles d'alcool fort éparpillés dans la cuisine. Je fouine dans les placards. Je change de pièce pour aller jeter un coup d'oeil au buffet des boissons. Pas de Jack Daniel's.

Il n'y a que du Rhum Bacardi, alors je me serre un verre, je mélange du Pepsi éventé et je goûte mon cocktail. Je rajoute un doigt de Rhum. Là, je sens que ça vient. Je suis ivre juste comme il le faut. Bien sûr, quelques secondes plus tard, je ressens de nouveau une frustration. Non, encore un peu d'alcool et ce sera parfait.

Une demi-heure plus tard, je suis franchement soûle. Soûle à rouler sous la table. Par miracle, j'arrive à sortir de la maison. Je descends le perron d'un pas chancelant et je me retrouve à déambuler sur la route. Le ciel est vitreux, étrange. Tout me semble irréel.

Je me penche et je vomis sur une pelouse en me tenant les cheveux, puis je reprends mon chemin comme si de rien n'était. Je chantonne :

Na-than...

Le mot s'élève vers les étoiles — il quitte ma bouche comme un petit nuage de buée par une journée d'hiver et flotte dans les airs. Je laisse mes yeux se repaître du ciel nocturne. Les lumières de la ville lui donnent une drôle de lueur jaune orangé.

Les lignes du paysage sont légèrement penchées et floues. Mon pied heurt le trottoir. J'ai l'impression de recevoir run coup, mais non, c'est le sol : je suis tombée dans l'herbe.

Je roule sur le côté et j'essaie de me relever. Mon corps ne répond plus. Je heurte une voiture et je reste là, accrochée au rétro, à sourire en songeant à l'absurdité de la situation.

Na-than...

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Where stories live. Discover now