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CHAPITRE QUATRE

« Il n'est plus question de ressasser le passé. Je dois étudier. Travailler. »

* * *

Le mois de septembre passe à toute vitesse. Une semaine, il fait trente degrés et les gars de l'équipe de foot du lycée courent torse nu autour du terrain — la suivante, il fait froid, les feuilles changent de couleur et une odeur familière de trois brûlé flotte dans les airs.

Un jour que je m'ennuie en permanence, je m'amuse à compter depuis combien de temps je suis abstinente : un peu plus de neuf. C'est pas mal. Pour moi, en tout cas. Je me sens beaucoup plus... normale. J'ai arrêté de me cacher. Je mange au self. Je m'attarde dans le hall. J'ai laissé tomber le costume flippant de Miss Désintox pour devenir une fille de Terminal lambda, un peu hautaine mais appréciée et respectée.

Tous les élèves de Terminale ont un squelette dans le placard. Je ne suis pas si exceptionnelle.

Octobre arrive. Je consacre l'essentiel de mon temps libre à sortir avec Martin et Grace. Je ne suis pas certaine que Grace apprécie ma compagnie autant que son chéri, mais tant pis pour elle. Je m'en fiche pas mal.

Un ami de Martin. Doug Gerrard, traine souvent avec nous. Je crois que je lui plais, même s'il ne tente rien. Il se contente de nous suivre partout sans parler, de me fixer quand il pense que je ne le vois pas, de me prêter des stylos ou du chocolat.

Je suis maintenant inscrite dans deux cours de niveau avancé : histoire et anglais. J'adore mes professeurs dans ces deux matières et ils me le rendent très bien. Ils ne soupçonnaient pas mes capacités scolaires Je réussis tous les devoirs sur table et je participe en classe. Je dois franchement avouer que c'est plutôt amusant de surprendre les gens.

Autre nouveauté : à mesure que le trimestre avance, je me rapproche de Laura Brantley. On devient très copines. Je peux même dire qu'elle est désormais ma meilleure amie, juste derrière Martin.

Notre relation franchit un nouveau cap lorsqu'elle me confie son intention d'arrêter de boire — au moins du dimanche au jeudi. Elle en a marre que les gens ne la prennent pas au sérieux. Elle veut me ressembler davantage : grave et mystérieuse.

Grave et mystérieuse. Il s'agit de notre private joke préférée. Comme s'il me restait encore des secrets !

Évidemment, la bonne résolution de Laura ne dure pas. Elle a toujours besoin de fumer du shit avant les cours et elle estime qu'avaler une ou deux bières avec Raj et Jake ne la tuera pas. Mais elle tient pendant un moment.

Alors on passe quelques soirées en semaine à réviser ensemble ou à se promener en voiture tout en ménageant du yaourt glacé. Elle est plutôt intelligente, en fait. On est un peu pareilles finalement : deux filles qui ont décidé, on se demande bien pourquoi, de ne pas utiliser leur cervelle et de se rebeller contre leurs propres facultés.

Martin change beaucoup pendant son année de Terminale. Avec Grace à ses côtés, il devient moins balourd, plus sûr de lui, plus cool. Je commence à réaliser à quel point il est brillant. Il assure aux examens d'entrée à l'université et il obtient toutes les bourses auxquelles il postule.

Il est pris du premier coup à Stanford, sans aucun problème.

Ça me fait réfléchir. Martin à Stanford. Je suis hyper heureuse pour lui, bien sûr. Mais, quelque part, je suis aussi un peu triste. Quoique je fasse maintenant, certaines portes sont déjà fermées pour moi. Il y a des opportunités que je ne retrouverais jamais. Mais ça ne sert à rien de se lamenter, j'imagine. C'est comme ça.

Je me console avec les nouvelles rassurantes de Nathan. Il parvient à rester clean et sobre. Il m'appelle régulièrement et me tient au courant. Il passe le cap des trois semaines, des quatre, puis des cinq. Je crois qu'il est en train de s'en sortir.

Il a emménagé dans le sous-sol de son nouveau parrain es AA et il travaille à temps partiel dans un garage du coin. Je reçois des emails de la bibliothèques publique de Centralia, dans lesquels ils me raconte ses réunions aux AA et ses progrès. Il parle de Dieu aussi. De « spiritualité ». Des soirées Bowling Sans Alcool. Des moments passés avec son parrain. Des motos qu'il répare.

On rest presque un mois sans se voir. Et puis, par une belle soirée d'automne, il déboule chez moi sur une belle Harley-Davidson. On discute à côté de l'allée, sous les branches du gros érable illuminé de jaune vif. Nathan est assis sur la selle de sa moto, dan son bleu de travail couvert de taches de graisse, son casque à la main. Moi, je reste debout, dans une attitude d'écolière, un exemplaire de Macbeth sous le bras.

On a plus couché ensemble depuis le printemps dernier. J'ai l'impression que ça remonte à un siècle. Pourtant, là, tandis que je me tiens près de lui dans le jardin, je suis plus amoureuse que jamais — mes sentiments, quoi que j'aie pu faire, ont fini par revenir — je ne le montre pas, bien sûr. Je ne peux pas me le permettre.

Je l'interroge sur sa vie, Centralia, son parrain. Je contemple ses yeux pendant qu'il m'explique comment on ajuste le stater sur un moteur Yamaha à deux temps. Je regarde ses belles lèvres bouger quand il parle.

Mais à son départ, il se passe un truc. Ma poitrine se serre. Soudain, je ne l'aime plus. Je ne peux pas l'aimer. Je n'aime personne.

Cette nuit-là, en m'endormant, je revois les deux hommes derrière le Hungry Bar Saloon. Je sens leur odeur infecte, et leurs mains de prédateurs qui déchirent mes vêtements. Je m'empresse d'écarter cette vision cauchemardesque. Je la repousse et je l'enferme à clé avec tous mes autres mauvais souvenirs.

Il n'est plus question de ressasser le passé. Je dois étudier. Travailler. J'ai déjà perdu beaucoup trop de temps. Je veux plus gâcher une seule seconde mon existence à penser à ce genre de choses.

J'ai raison, non ? En tout cas, je suis lancée dans la course.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora