Les joies du nucléaire

Începe de la început
                                    

- J'ai toujours voulu être papa.

- Tu plaisantes !

- Non, je suis sérieux.

- Désolé, d'habitude, les mecs rêvaient plutôt d'être pompier.

- Moi, c'était vétérinaire-coiffeur.

- Pour chiens ?

- Pour hamsters, me corrige t-il.

J'éclate de rire. Sous ses airs de viking, Vincenzo est un grand blagueur. J'ai dû mal à m'arrêter et je manque de renverser mon sceau. Chris se matérialise à mes côtés, saisi la hanse et stabilise le sceau. Doucement mais fermement, il m'en déleste.

- Wilson a besoin de toi, élude t-il.

- Dis lui bonjour de ma part, me salut Vincenzo.

Sans rien dire, Chris prend ma place dans la ligne.

À la centrale, je retrouve une forme de routine. Je relève généralement l'équipe de nuit à cinq heures avec Abby et Lucas ; mais il peut arriver que Chris choisisse de me remplacer ce qui m'allègue deux heures de sommeil supplémentaires. O'Connell reste au chevet de Mano, mais je le surprends souvent à l'extérieur du pré-fabriqué. Il rend de petits services aux familles. Je crois qu'il ramasse des fleurs et des cailloux avec un tas d'enfants. C'est une sorte de classe verte.

Chris disparaît. Je sais qu'il ne quitte pas la centrale mais je ne sais jamais où il est. Chaque soir, il me raconte dans quelle salle verrouillée il a pénétré, ce qu'il a trouvé : nourriture, vêtements, médicaments. La centrale abrite tellement de gens ; tous ont apporté une contrepartie. Le partage ici, c'est sacré.

- Ca ne sert à rien, je lui répète. Aide-nous plutôt à refroidir la turbine.

Dans les jours qui ont suivi notre arrivée, nous sommes retournés chercher nos affaires. Vincenzo m'a présenté à Jessica. Elle conduisait des poids-lourds et pensait pouvoir remorquer la camionnette jusqu'ici. Elle est drôle. Coincée à la centrale avec ses deux sœurs, elle a plaisanté sur une petite virée entre copines ; il faisait beau et chaud pour une journée d'automne. Deux types l'accompagnaient.

- En réalité, je me demandais si tu pouvais me donner un coup de main, avait marmonné Wilson quand je lui avais fait part de mes plans.

- Je t'en donne déjà un, de service, avec la centrale.

- C'est à propos de Chris. Il s'est fait deux-trois... Enfin, il a quelques problèmes avec Tom et Roger ici, résuma Wilson. Je ne veux pas demander à Vincenzo de gérer ça. Il est déjà occupé avec le bébé et puis, c'est votre gars. Vous devez savoir comment lui... parler, non ?

Jessica me fait signe derrière le volant du camion. J'acquiesce. Chris n'est jamais loin ; toujours discret, invisible, mais présent. Un vrai fantôme. Je n'ai que quelques mètres à faire pour le retrouver. Il me coince derrière une tente où l'on entasse du matériel. Il est trempé.

- Qu'est-ce que tu sens ?

- Je suis tombé dans la fosse, répond Chris, humant rapidement le col de son tee-shirt. Désolé. Pourtant, j'ai pris une douche.

Je fronce le nez et me décale d'un pas sur la gauche. Le vent change de sens. Je m'étouffe. Les nausées sont de plus en plus fréquentes. J'ai essayé de me fourrer du papier dans le nez mais ça m'empêche de respirer et les morceaux finissent inexorablement par se consumer. Les enfants rigolent de ma morve grise avec laquelle on pourrait faire du journal.

Les odeurs me font tourner la tête, m'oblige parfois à m'allonger toute une journée. Ici, on ne sent que celle, âcre et salée, de la rivière, le souffre de la centrale, l'odeur de merde qui ne n'a jamais quitté Mano ou bien celle très légère du métal. Elle vient des armes que les gardes portent à leur ceinture, celles qu'ils se servent pour défendre les grilles. Les morts sont attirés par le bruit et la fumée générée par la centrale. Ils viennent de loin et si on utilise habituellement les couteaux, on doit parfois se résoudre à tirer des salves rien que pour protéger et entretenir les barricades. Ce sont de vraies murailles, impénétrables, avec du fil barbelé et un système de projecteurs qui fonctionne avec des générateurs ; mais elles laissent passer les odeurs. Perçy est ravie de mes nouveaux « super-pouvoirs », qui me permettent de deviner avant les autres ce qui sera servi au repas. La réalité, c'est que ça ne change jamais.

Anthologie de la finUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum