La nature ne respecte personne. Elle ne suit pas les codes. L'herbe folle pousse là où les roues des voitures n'ont pas pu l'aplatir. Les araignées tissent leur toiles sans notre avis. Les cailloux roulent sans cesse sur la voie. Intimement, physiquement, je voudrais monter un grillage tout autour de moi et bétonner le chemin. Pire, construire de longs tapis roulants semblables à ceux des aéroports. Ils traverseraient en rubans tous les parcs nationaux.

Vincenzo et Wilson ont été sans appel : hors de question de suivre la route. Nous nous sommes enfoncés dans la forêt, laissant derrière nous la voiture et toutes nos affaires, portant sur le dos seulement le nécessaire. Un autre craquement et Lucas vient resserrer les rangs, encadrant O'Connell et Abbie. Perché sur les épaules du vieil homme, Perçy nargue sa nouvelle copine. C'est moi qui porte le Colt. Abbie a rangé son livre d'herboristerie dans son sac ; les mains occupées par la crosse du fusil de chasse. La gueule de métal fouille les alentours humides. Au moindre craquement, Abbie sursaute ; le doigt sur la détente. La dernière arme à feu, notre Thompson, pend comme un animal mort entre les omoplates de Lucas.

- Pas trop lourd ? je demande.

Vincenzo hausse les épaules. La tête de Mano tressaute mais il ne lâche pas la précieuse mèche de cheveux. En tête de peloton, Wilson essaye tant bien que mal de calmer le bébé. Il s'est mis à vagir ; ses petits poings battent l'air.

- Je suis désolée. Enfin, je veux dire merci, je bégaie.

Le géant viking regarde devant lui, la silhouette vacillante de Chris.

- Ça a pas dû être facile pour vous non plus, note t-il.

- Au contraire, on s'en ai très bien sorti.

- Où vous allez comme ça ? demande t-il. Vous n'êtes pas obligé de me le dire, ajoute t-il en surprenant mon regard intrigué.

- C'est qu'on ne sait pas très bien...

Soudain, un mort apparaît à l'orée du chemin. J'ai à peine le temps de dégainer que Chris l'abat d'un coup massue. Son pieu sanguinolent retombe le long de sa cuisse. Je m'apprête à le rejoindre mais Vincenzo se racle la gorge et mes yeux retrouvent le nez rouge de Mano.

- On est bientôt arrivé ? demande Perçy.

- C'est au bout du chemin, répond Wilson.

- On peut faire la course sur les derniers mètres ?

- Jamais de la vie !

Le silence retombe, très vite entrecoupé par les sifflotements d'O'Connell. Parfois, Abbie l'imite. Les sons aiguës attirent l'attention du bébé qui tourne vers eux des yeux curieux. Sa bouche dépourvue de dent s'étire en un sourire gluant. Il agite en rythme son collier de perles en plastique. Perçy glousse, ses mains s'amusant à cacher les yeux d'O'Connell. En tête de fil, Chris se met à fredonner.

Les grilles et les barbelés de la centrale nucléaire nous accueille. Plus tard, ce sont les canons des AK-47. Ils sont plus nombreux et mieux armés. Certains sont des militaires. Wilson nous avait prévenu. Nous montrons pâte blanche. Je me déleste du Colt à l'entrée, mais aussi d'une lame de dix centimètres. Même le canif de Perçy rejoint la pile. Très vite, on nous sépare de Wilson, Vincenzo et les deux enfants.

Je lève les mains au-dessus de ma tête pendant qu'on me fouille. À demi-caché parmi les arbres, Chris refuse de rentrer. Je lui montre l'exemple. Trop loin pour m'entendre, je sais qu'il peut lire sur mes lèvres : « Docile, diplomate ». Il secoue la tête. Les gars de la centrale l'ont dans le viseur. Je suis tellement concentrée sur Chris, tellement suppliante et mielleuse, que je ne vois pas tout de suite les deux hommes s'approcher.

Anthologie de la finWhere stories live. Discover now