Infirmière en carton

Start from the beginning
                                    

- Tu sais bien qu'on ne retrouvera pas Chris ce soir.

- Chris ? répète t-elle.

- Tyreese, je me corrige. Tyreese.

- Je sais.

Le fauteuil crisse sur les graviers. Les dents claquent à nos côtés. Soudain, il fait plus noir ; il fait plus froid ; mais Beth avance contre le vent. La grille fait plus de deux mètres. Elle a l'air trop fine, trop fragile, pour pouvoir tenir. Elle gémit sous les assauts mais ils sont peu nombreux. Les animaux nocturnes se sont enfuis. Les grillons chantent en sourdine. Beth est grande, longiligne, dans la nuit.


Je la sens qui s'étire à mesure qu'on approche.

Ses pieds s'enfoncent plus dans le sol. Sa tête s'élève vers le ciel.

La torsion abominable de ses muscles me répugne.


Elle transpire.

Son cœur bat contre ma tempe.

Herbe coupée, terre battue, fleurs fanées.

Le sang séché sur la grille.

Et elle qui avance toujours.


Ses pas se font de plus en plus rapides, de plus en plus déterminés, alors qu'on aperçoit chaque entrelacs de fer dans les barbelés, qu'on croise les regards des macchabées.

- Beth...

- Chut, ils vont nous entendre.

- Beth...

- Tais-toi.

- Beth, arrête.

J'appuie mes mains sur les roues mais elle pousse toujours.

Les pieds pétrifiés, j'ai assez de mobilité pour freiner.

J'ai plus de force qu'elle ; moins de détermination qu'elle.

Elle m'agrippe la crinière, crochète mes griffes et d'un coup sec, on s'enfonce.

On fonce.

- Tu vas nous faire tuer !! j'aboie. On a aucune chance avec cette pauvre lampe de poche ! Mais tu vas arrêter, oui !

Elle freine des deux pieds. Ses cheveux camouflent son visage.

Sa respiration hache le temps et l'espace.

- T'as qu'à rester si tu veux. Moi, je sors.

Ses deux mains lâchent mon fauteuil.

C'est comme si elle me jetait à l'eau.

- Mais qu'est-ce qui te prend ? je crie. Tu veux mourir ? Tu sais bien qu'on retrouvera pas Tyreese par ce temps ! je continue en la voyant s'écarter. Et on a rien pour se défendre. Putain, je peux même pas me lever !

Et j'ai le cœur qui gonfle, qui gonfle, qui gonfle alors qu'elle navigue seule dans la nuit. Devant le portail, elle s'arrête. Je me sens mal, nauséeuse. Les roues sont bloquées par les graviers. Impossible d'avancer. Elle ouvre la main et caresse la clef du cadenas. Un mort vient s'échouer contre le grillage.

- Beth, qu'est-ce qu'il y a ? Reviens. Rallume la lumière.

Je n'ai pas peur du noir mais de ce qu'il lui cache. Si je peux voir plus clair ici qu'à l'intérieur des bâtiments, ce n'est pas son cas. Elle ignore les écueils des fonds marins, la puissance des houles et des tempêtes ; le malheur qui nous guette.

Anthologie de la finWhere stories live. Discover now